Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/12

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

liste espagnol : « dans notre malheureuse patrie, personne ne veut plus obéir, personne ne sait plus commander. »

Depuis peu, une réaction salutaire s’est fait sentir ; elle a porté au pouvoir un homme de bien et de caractère, qui veut et qui sait commander ; il l’a déjà prouvé. Les actives sympathies de tous les honnêtes gens accompagnent dans son rude travail ce gouvernement réparateur. Pourra-t-il tout réparer ? Le mal qu’on a laissé faire est bien grand. On a attendu pour agir que le malade fût tombé en frénésie. Quelqu’un demandait naguère que, des Pyrénées à Cadix, il fût institué dans chaque pueblo une chaire de sens commun, et à Malaga les enfans, dit la chronique, chantent un refrain dont le sens est que l’Espagne a grand besoin d’une bonne camisole de force. Telle est aussi l’opinion de beaucoup de Portugais ; ils se plaignent des dangers que fait courir à leur pays le voisinage d’une république affolée et débordée. « Nous rassemblons, nous autres Portugais, disait l’un d’eux, à un propriétaire qui a pour plus proche voisin le directeur d’un hospice d’aliénés. Nos fenêtres donnent sur le préau où ces malheureux, trop mal surveillés, viennent s’ébattre ou se gourmer ; la nuit comme le jour, nous entendons leurs clameurs et leurs trépignemens. Le pis est que de temps en temps ils brandissent des torches pour mettre le feu à notre maison ; nous sommes obligés d’avoir toujours l’œil au guet et de ne pas lâcher un instant le piston de nos pompes. Nous en perdons le sommeil ; hélas ! peut-être finirons-nous par devenir fous nous-mêmes. »

Cependant il est bon qu’un voyageur se tienne en garde contre ses premières impressions. Elles sont plus trompeuses en Espagne que partout ailleurs, et il n’est pas nécessaire d’y séjourner longtemps pour découvrir que la grande majorité des espagnols se compose de très honnêtes gens, qui jouissent de tout leur bon sens, assaisonné souvent de beaucoup d’esprit. Pour ce qui est des fous, chaque pays a les siens ; ceux d’Espagne, entraînés par l’ardeur de leurs passions et la véhémence de leur sang à de redoutables excès, sont capables quelquefois de retours, de soudains repentirs, et combien ne voit-on pas de fous qui ne se repentent jamais ! Si les montagnes du Guipuzcoa et de la Navarre sont infestées par des malandrins en soutane, si on est sujet à rencontrer autre part des vendeurs d’orviétan qui se promènent avec du canon, on peut observer en revanche que dans tel chef-lieu il a suffi d’un gouverneur qui avait du cœur, assisté d’une poignée de volontaires, pour réduire un soulèvement et renverser d’un souffle des barricades, qu’il est aussi des provinces entières, comme l’Aragon, où le peuple s’est chargé de maintenir l’ordre, et qu’en d’autres endroits les foules, s’insurgeant contre l’insurrection, ont fait rentrer brusquement dans leurs trappes les boute-feux et leur cohorte. L’étranger qui par-