Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas d’enfans naturels; l’enfant né hors mariage est toujours mis à mort, même dans les cas rares où la mère obtient son pardon.

L’honneur est, après le principe d’association mutuelle, la base de la société kabyle Voyez le beau passage d’Ibn-Khaldoun sur le caractère de la race berbère, t. I, p. 499-200 de la traduction de M. de Slane. </ref> ; avec ces deux principes, les Berbères sont arrivés à se passer à peu près de la force. De même que l’assistance mutuelle, le code kabyle rend l’honneur obligatoire et y met une sanction. Telle est la base de l’anaïa, rouage essentiel de cette organisation primitive, et qu’on peut définir un engagement d’honneur d’un protecteur envers son protégé, ayant une valeur légale. On s’étonne au premier coup d’œil que la loi s’occupe d’une relation d’un ordre purement moral et privé entre deux citoyens; mais dans une pareille société, presque dénuée de force publique, l’anaïa est la garantie suprême. Celui qui l’affaiblit affaiblit la chose publique, lui enlève son principal étai. Supposons toutes nos garanties sociales disparues, les villages, les quartiers formant des ligues pour se défendre; la parole d’honneur prendrait une valeur officielle, et les ligues seraient amenées à se donner le droit de punir la violation d’un engagement moral. Les garanties publiques étant très faibles chez les Kabyles, les pactes individuels y suppléent. Celui qui a engagé son anaïa est obligé sous peine d’infamie d’y faire honneur. S’il est dans l’impuissance d’y donner suite, l’anaïa passe à sa famille, à sa tribu, à son village, aux diverses confédérations dont il est membre. La violation de leur anaia est la plus grave injure qu’on puisse infliger à des Kabyles. Un homme qui, selon l’expression consacrée, brise l’anaïa de son village ou de sa tribu, est puni de mort et de la confiscation de tous ses biens; sa maison est démolie. « On ne peut refuser à l’institution de l’anaïa, disent MM. Hanoteau et Letourneux, un caractère de véritable grandeur. C’est une forme originale de l’assistance mutuelle poussée jusqu’à l’abnégation de soi-même, et les actes héroïques qu’elle inspire font le plus grand honneur au peuple kabyle. Malheureusement la nécessité même de ces dévoûmens est l’indice d’un état social peu avancé, où l’individu est obligé de se substituer à la loi pour protéger les personnes. » L’’anaïa est aussi la cause de la plupart des petites guerres qui formaient le fond de l’histoire kabyle avant que l’occupation étrangère ne fût venue y mettre fin.


III.

La guerre est en effet l’état naturel d’une société composée de petites unités communales, sans pouvoir supérieur qui ait le droit de