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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/160

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or partout où un esprit national ne s’empare pas de la société humaine pour l’informer, comme on disait au moyen âge, c’est-à-dire pour lui donner une forme, une âme, un principe vivant, il est inévitable que les factions, les coteries, les groupemens les plus artificiels prennent la place de la patrie et remplissent les fonctions que celle-ci ne remplit pas. Le çof kabyle paraît de la sorte un des traits essentiels de la race berbère et une des suites de l’impuissance qu’elle a toujours montrée pour se créer des dynasties nationales.


IV.

Nous venons d’exposer, d’après d’excellens observateurs, un système social qui durant des milliers d’années a paru une garantie suffisante à toute une fraction de l’espèce humaine. Par quelques côtés, ce système a de l’analogie avec celui de toutes les peuplades patriarcales et à demi nomades qui, sans dépasser la vie de la tribu, sont arrivées à une certaine civilisation. Il ne faut pas, en pareille matière, exagérer l’idée de race. La race, en ce qui concerne les lois et les coutumes, est primée par le genre de vie et surtout par le degré de culture. Ce que nous savons de la constitution fédérale des Gaulois rappelle singulièrement l’état social que nous voyons exister encore chez les Berbères. La vie de l’Arabe bédouin a beaucoup d’analogie avec celle du Touareg. Les Kirghiz ont des mœurs fort analogues à celles que nous voyons attribuées dans la Genèse aux ancêtres supposés du peuple hébreu, et pourtant il n’y a aucune communauté de race entre les Gaulois, les Berbères, les Arabes, les Kirghiz. De telles analogies viennent moins d’une consanguinité que d’une similitude d’état social et d’une façon identique d’entendre l’autorité du village ou de la tribu comme une extension de celle de la famille. Les races sont des moules d’éducation morale encore plus qu’une affaire de sang. Voici un fait attesté par les honorables auteurs du livre que nous analysons. Parmi les Kabyles des environs du Fort-Napoléon se trouvait, il y a quelques années, un déserteur natif d’Angers. A part un penchant à l’ivrognerie, qu’il satisfaisait dans les cabarets du fort, il avait perdu toutes les habitudes de sa jeunesse, et rien ne le distinguait plus d’un vrai Kabyle. Il avait des enfans qui ne savaient pas un mot de français, se montraient en tout musulmans fanatiques, et n’étaient pas moins hostiles à la domination française que le reste de la population.

A quelques égards, la constitution berbère n’est donc autre chose qu’un type conservé jusqu’à nos jours des vieilles sociétés qui couvrirent le monde avant les royautés administratives, telles que l’Egypte, et les grands empires conquérans, tels que l’Assyrie, la