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Brigands, sauf à en désavouer ensuite les prétentions et les violences par la générosité progressive, par le caractère de plus en plus bienfaisant de ses idées et de sa vie. Le malheur est, pour Gavarni, que l’excessive indiscipline ait duré chez lui bien au-delà de la période des débuts, et que les perfectionnemens de son talent n’aient pas amené une réforme dans ses principes et dans ses mœurs.

D’ailleurs cet esprit de rébellion fougueuse est-il bien celui qui anime Gavarni à quelque moment de sa vie que ce soit ? N’est-ce pas au contraire avec un étrange sang-froid, au moins en apparence, qu’il substitue théoriquement l’intérêt personnel à la religion du devoir, et dans la pratique la recherche curieuse des aventures, la poursuite au jour le jour du plaisir aux tendresses ou aux attachemens du cœur ? Nous ne voulons pas insister. Il nous suffira de dire que, quels qu’en aient pu être les secrets mobiles, la vie menée par Gavarni, après comme avant ses premiers succès d’artiste, touche malheureusement de bien près au libertinage vulgaire. Pour en suivre sans regret les détails dans tous les lieux et dans toutes les compagnies où elle se dépense, il faudrait tenir en moins d’estime que nous ne faisons les travaux qui l’ont d’autre part occupée.

Un mot toutefois sur certains faits qui, en compliquant encore cette existence si peu simple déjà, devaient achever de l’embarrasser dans le présent et même en compromettre jusqu’à la fin l’indépendance matérielle. Après quelques années passées aux gages des journaux qui publiaient presque chaque jour une lithographie de sa main, Gavarni avait pensé que, pour tirer de son talent un parti à la fois plus immédiat et plus fructueux, le mieux serait de se faire directeur de journal lui-même. Avec une faible somme empruntée un peu partout et un grand fonds de confiance dans le succès prochain de l’entreprise, il était donc parvenu, suivant la spirituelle expression de ses biographes, « à mettre dans leurs meubles ses lithographies et sa copie, » car la certitude d’imprimer aussi souvent, aussi librement qu’il le voudrait les productions de sa plume ne l’avait pas moins séduit que l’avantage de publier pour son propre compte les œuvres de son crayon[1]. Par malheur, l’événement ne tarda guère à déconcerter ces espérances. L’argent promis par les premiers prêteurs ne vint pas plus que le succès sur lequel on avait compté, et au bout de sept mois de luttes comme la mauvaise for-

  1. La plupart des écrits que contient le volume public par M. Yriarte avaient paru pour la première fois dans ce recueil périodique que dirigeait Gavarni, notamment Madame Acker, les Jarretières de la mariée et un fragment intitulé l’Homme seul, — la meilleure à notre avis, la plus originale au moins des productions littéraires de l’artiste. Quant à ce roman d’amour ou plutôt de métaphysique sentimentale que M. Sainte-Beuve a peut-être trop complaisamment analysé, et dont il a d’ailleurs très justement dit que l’héroïne « avait avec des restes d’Elvire des commencemens de Lélia, » — nous ne regrettons guère que l’auteur l’ait laissé inachevé. Il y a là des prétentions fatigantes au bel esprit, une phraséologie de rhéteur jouant l’amoureux et le philosophe, et par-dessus tout l’image de deux caractères, de deux personnages aussi peu intéressans l’un que l’autre dans leur duel à coups de pensées quintessenciées et de subtilités galantes. En général, et bien contrairement à ses œuvres dessinées, les écrits de Gavarni manquent de naturel, de netteté, de franchise. « C’est, disent avec raison MM. de Goncourt, de la petite littérature pointue,… ne donnant rien de la précision concise et de la formule concrète du style » propre à celui qui a inscrit tant de légendes devenues proverbiales au bas de ses lithographies.