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religieuses il introduit des personnages épisodiques, reîtres, musiciens, bouffons ou magnifiques vêtus à la mode d’Allemagne ou de la Venise de son temps, là aussi l’allégorie devient peu transparente en raison de la fantaisie ou de l’ignorance de l’artiste, qui n’hésite pas à faire de Minerve une dame vénitienne à la robe de brocart, et de Mars un condottiere à la façon du Colleoni ou de Gattamelata.

Il n’apparaît point, par les rares documens qu’on trouve dans les archives sur le Véronèse, qu’il ait été un de ces artistes lettrés ou un de ces hommes raffinés comme le Tiden ou Rubens, familiers des princes et négociateurs d’état. Les autographes du Véronèse sont extrêmement rares, on a tout au plus de lui des reçus motivés donnés à des prieurs de couvent qui lui avaient commandé des peintures pour leurs chapelles. D’après des lettres autographes de Girolamo Grimani et de Pisani qui ont trait à la protection que lui accordèrent ces deux patriciens dans un moment burrascoso, comme dit le texte, on croirait au contraire que le Yéronèse devait mener une existence assez retirée, toujours confiné dans son travail, en perpétuelle communication avec les artistes et surtout les praticiens qui aidaient les peintres dans leurs grands travaux. Il y a même dans sa vie certain épisode de lutte violente avec le Zelotti, en pleine rue de Vicence, qui ne prouve pas une nature bien retenue, et, en cherchant dans son histoire, on pourrait expliquer son long séjour dans l’église et le couvent de Saint-Sébastien de Venise, qu’il a couverts de peinture, par l’impossibilité où il s’était mis d’en sortir, traqué qu’il était par les sbires, que le crédit des Pisani put seul désarmer, et que le droit d’asile arrêtait au seuil de Saint-Sébastien.

Il existe encore aux archives, des Frari de Venise, dans la série des inquisiteurs d’état (Processi del Sont~Uffizio-1573), un document extrêmement curieux que celui qui tentera d’écrire une biographie complète du Véronèse devra consulter comme un de ceux qui jettent un jour vrai sur son caractère et ses naïves doctrines. C’est le procès-verbal de la séance du tribunal de l’inquisition du samedi 18 juillet 1573, trouvé par M. Armand Baschet aux archives de Venise. Ce qui donne du prix à ce document, c’est que pour la première fois apparaît dans les réponses du Véronèse aux inquisiteurs un exposé de doctrines, une pensée d’esthétique personnelle naïvement formulée.

Le tribunal de Venise se composait alors du nonce du pape, du patriarche de Grado et d’un moine dit « père inquisiteur, » nommé par le pape, mais autorisé par le doge. Ces trois personnages étaient les délégués de Rome. La sérénissime république de son côté nommait trois magistrats, trois laïques, appelés savii