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Elles étaient à peu près de la même taille; mais la démarche lente, féline, de doña Lorenza écrasait par sa grâce naturelle les allures plus savantes, plus théâtrales, de la cantatrice. Albert, véritable enfant terrible, le fit remarquer aux Européens invités par don Luis en même temps que ses compatriotes. Après une courte promenade, on revint vers la cour où l’on avait laissé les chevaux, qui, la tête basse, les oreilles couchées, les jambes fléchies, l’œil à demi clos, avaient cette apparence exténuée dont les étrangers sont souvent dupes. A peine leurs maîtres furent-ils en selle, que l’on vit les braves animaux bondir, piaffer, ronger leur mors, révéler par des hennissemens leur ardeur impatiente.

La Wilson, par suite d’une galanterie du préfet de Cordova, montait une magnifique jument à robe blanche, bête docile dont le pas ordinaire était cet amble rapide auquel sont dressés les chevaux de route mexicains. Tout à coup la cantatrice fit remarquer que don Alberto était absent. On se mit à la recherche du Français, que l’on trouva grimpé sur une roche; de cette hauteur, il s’amusait à jeter des pierres dans le lac, à les regarder tournoyer et se perdre dans ses mystérieuses profondeurs.

On amena la monture de doña Lorenza, petit cheval de race andalouse à la robe d’un noir d’ébène, à la crinière épaisse, aux naseaux écartés, à l’œil sauvage. Il ruait, se cabrait, secouait son mors et cherchait à se débarrasser de l’étreinte d’Antonio, tout occupé à le contenir. Doña Lorenza, son écharpe nouée sur l’épaule, une mince cravache à la main, semblait attendre. Son mari, déjà en selle, mit tout à coup pied à terre et accourut; une rougeur visible colorait ses joues bronzées.

— Merci, lui dit sa femme en s’appuyant sur son épaule et en se laissant soulever à la hauteur de la selle; m’avais-tu donc oubliée? Maintenant, ajouta-t-elle en le frappant amicalement du bout de sa cravache, veille sur notre invitée; je ne sais pourquoi, mais il me semble que cette belle señora est moins à l’aise sur le dos d’un cheval que devant un piano.

Les deux femmes marchèrent d’abord côte à côte, entourées par l’essaim des cavaliers. Albert, excellent écuyer, enviait le commode et pittoresque costume de cheval de ses compagnons, et se promettait de s’en faire confectionner un pareil à la première occasion. Il se tenait au premier rang et ne cessait de vanter doña Lorenza.

— Décidément, mon cher, vos femmes sont le charme en personne, disait-il à son confident habituel; mais qui donc à Cordova m’a parlé de l’indolente langueur de notre hôtesse en l’appelant l’eau dormante? C’est du vif-argent, cette femme. Voyez avec quelle vigueur elle contient sa monture; on la dirait vissée sur sa selle, tant son corps suit harmonieusement les mouvemens de cet anda-