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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/365

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nous aurions pardonné au critique d’être plus sobre de louanges pour la seconde partie de Faust.

Il y a un mauvais sort jeté sur toutes les continuations, et par ricochet sur ceux qui sont obligés de les interpréter. Cette condition inévitable ne permettait pas à M. Blaze de donner à cette seconde partie, si chargée d’érudition, d’allégories et de véritables énigmes, une vie qu’elle n’avait pas. Il n’en a pas moins rendu un double service à la littérature en traduisant pour la première fois les deux parties et en les accompagnant d’une étude d’ensemble sur l’œuvre entière du poète. Sauf quelques pages sur la métaphysique du second Faust, qui ne laissent pas, malgré leur utilité, de souffrir sensiblement de la contagion des ténèbres, l’essai sur Goethe apporte cette satisfaction particulière que l’on éprouve quand on s’est rendu compte des secrets d’une haute intelligence. Après tout, c’est une excellente faculté que cette puissance d’admiration appliquée aux génies exceptionnels : en présence d’un homme tel que Goethe, au moins avant l’époque de la sénilité, elle peut suffire. M. Blaze s’y est tenu, et il a bien fait, puisqu’il s’agissait moins de critique et de jugement que d’analyse et d’initiation. Il a été bien inspiré dans la recherche qu’il a faite des procédés de ce grand esprit. Suivre la piste du talent supérieur, quoi de plus engageant ? il devait réussir à cette entreprise de choix. « Je laisse, disait l’auteur de Faust, les objets agir paisiblement sur moi; ensuite j’observe cette action et m’empresse de la rendre avec fidélité. Voilà tout le secret de ce que les hommes sont convenus d’appeler le don du génie. » Une telle bonhomie dans la confidence n’était permise qu’à un homme divinisé et qui le plus simplement du monde avait accepté ses autels : imaginez un dieu consentant à mettre les mortels dans le secret de ses fonctions de créateur; il n’y avait qu’un pays où cela fût possible, l’Allemagne du XIXe siècle. Le mieux n’était-il pas de laisser à la porte du temple toute velléité de raillerie française, d’entrer avec la foule des adorateurs venus de tous les coins de l’Allemagne et d’offrir son grain d’encens au dieu nouveau pour le connaître? On risquait tout au plus de se tromper par excès, et cette erreur assez indifférente, on la partageait avec une nation entière, seule compétente pour le moment.

A côté de cette admiration sans réserve, le critique place bien des enseignemens que lui fournit la vie intellectuelle de Goethe. La manière de vivre et de travailler, le cercle des relations, les habitudes administratives de son auteur et de son héros, forment peut-être la partie la plus intéressante de son essai. Il y a là bien des leçons d’ordre et d’application pour nos soi-disant primesautiers, enfans prodigues de la littérature, qui n’ont rien de plus pressé que