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que dit Mozart, c’est la passion humaine. « Pour bien réussir, disait M. Auber, il faudrait qu’un opéra pût être donné le premier soir sans la musique; on jouerait d’abord la pièce purement et simplement, puis le surlendemain on y glisserait quelques morceaux, et peu à peu, le public s’acclimatant ainsi, on arriverait vers la quinzième représentation à supporter toute la partition. » M. Auber ici se moquait légèrement du public; mais il disait vrai en un sens qui n’était pas le sien. Pour bien réussir, il faut, ce semble, que la pièce ne dise que des choses que peut exprimer la partition, et que la partition exprime bien tout ce que dit la pièce. Mozart excelle à conduire le drame musical, qui se compose comme l’autre d’action, d’une action plus simple, il est vrai, et allant droit à l’âme. Rousseau l’a dit : « Ce n’est pas l’oreille qui apporte le plaisir au cœur; il faut que le cœur le vienne chercher à l’oreille. »

Un humoriste dont l’influence se trahit quelquefois dans les écrits de M. Blaze, Stendhal, aimait non moins passionnément la musique. Seulement ce qui respire dans les pages de ce spirituel épicurien, c’est l’enchantement de l’Italie, qui se révèle à lui avec les arts par le côté le plus sensuel. Jouir de la vie, telle est la poétique de ce raffiné personnage; la terre classique des tableaux et de l’opéra le ravit et le transporte par toutes les fascinations qui font oublier la politique, les questions sérieuses, les points de vue pratiques de l’existence ou les besoins élevés de l’âme. Mozart, Cimarosa et Rossini lui plaisent au même degré; il n’y voit d’autre différence que celle de la fécondité : les artistes sont pour lui des êtres créés pour varier ses plaisirs, et, se faisant plus Italien que les Italiens mêmes, il adore dans leurs œuvres les voluptueuses caresses de la voix humaine. S’il s’élève aux accens de l’admiration jusqu’à se contredire quelquefois, n’oubliez pas qu’il est homme de beaucoup d’esprit, qu’il est soigneux toujours de se retirer, de la foule, et que la pose, non plus que la fatuité, ne lui est pas étrangère. Stendhal est un amateur fort amusant et dont il convient de se défier. Il est heureux pour l’écrivain dont nous parlons aujourd’hui que cette influence ait trouvé des obstacles dans la nature de son esprit : en ceci, comme on a pu le voir en d’autres matières, il a commencé, je pense, par être séduit, puis il s’est ravisé, il a dégagé du joug d’autrui son originalité personnelle. Qu’il soit, lui aussi, sous le charme du concert des sirènes, il le faut bien : pour juger, pour penser, il est nécessaire de sentir vivement; ôtez le plaisir, l’art n’existe plus. C’est affaire à Ulysse de se boucher les oreilles avec de la cire : il avait d’autres soins, et sans doute il n’aimait pas la musique ou il l’aimait trop; mais les sons et les accords sont peu de chose, et leur vraie puissance est dans les