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menace incessante pour Chio, provocation à la guerre civile pour Smyrne, signal d’insurrection pour tout l’archipel des Sporades ? Trois fois déjà les capitans-pachas avaient usé leurs griffes contre les rochers de Samos ; mais les temps étaient bien changés. Les brûlots grecs n’avaient pu sauver ni Navarin, ni Missolonghi ; ils ne sauveraient pas davantage l’île que Logothetis retenait à grand’ peine dans les liens de la rébellion. Khosrew venait de détacher en Morée, pour y soutenir l’armée d’Ibrahim, la partie la moins agile de sa flotte. Il lui restait encore vingt-six bâtimens. Avec cette division, il mouilla devant Chio dès les premiers jours de juillet et envoya sur-le-champ aux milices asiatiques l’ordre de se rassembler à Scala-Nova.

La terreur répandue en tous lieux par le vent de persécution qui soufflait favorisa singulièrement cette levée. Le pachalik de Smyrne avait à fournir 3,000 hommes ; plus de 6,000 accoururent au premier appel. On devine l’émotion que ces graves nouvelles causèrent à Samos. Des secours furent sur-le-champ demandés à Hydra, mais cette île se croyait elle-même menacée. D’un instant à l’autre, le sort d’Ipsara pouvait devenir le sien. Déjà Spezzia était évacuée ; les habitans et les navires avaient fui. Hydra, de meilleure défense, comptait sur le concours éventuel des tacticos de Fabvier et des Souliotes, dont elle marchandait depuis un mois les services. Elle avait armé cent navires ; ce n’était pas le moment de les éloigner. Si les vaisseaux égyptiens avaient à cette époque quitté Alexandrie, l’irruption redoutée aurait sans doute eu lieu. Méhémet-Ali, par bonheur, retint sa flotte au port ; il ne se souciait pas de l’envoyer de nouveau batailler contre les vents étésiens. Il voulut attendre, pour la faire sortir, des temps plus favorables, ce qu’on pourrait appeler dans la Méditerranée la mousson d’automne. Dès que ces dispositions eurent transpiré et que les Hydriotes en furent avertis, ils montrèrent moins de répugnance à prêter l’oreille au désir des Samiens. Restait une dernière question à résoudre : qui paierait l’armement ? Ce ne serait pas à coup sûr le gouvernement grec. Ce gouvernement n’avait trouvé dans les coffres, le jour où il s’était installé à Nauplie, que la somme de kO piastres turques. Ce ne seraient pas davantage les Hydriotes. Quand on en est réduit au triste expédient des emprunts forcés, quand on a failli, pour subvenir à d’impérieuses dépenses, dépouiller les églises, spolier les couvens, mettre en gage les reliques, on ne fait pas de telles libéralités à ses voisins. Si les Samiens voulaient être défendus par une flotte, il leur appartenait et il n’appartenait qu’à eux de la solder. La nécessité de ce sacrifice, dans la situation où se trouvait la Grèce, s’imposait de très haut et n’admettait même pas de discussion. Les Sa-