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de leurs brigandages sans gloire, de leurs hésitations, de leurs atermoiemens ; ils les traînent ainsi pêle-mêle en champ-clos. Le résultat est loin de répondre à leur attente. Les reproches amers succèdent alors aux harangues enthousiastes. On n’a tenu aucun compte ni des qualités natives, ni des vices invétérés de ces hordes à demi sauvages ; on a voulu les conduire comme des troupes réglées au combat. On s’est trompé. Sur ce sol durci par une longue absence de culture, la vaillance et la morgue anglaises ne feront pas pousser de moissons. La Grèce laissée à elle-même eût, — tout porte à le croire, — plus sagement agi. Les conseillers que l’Europe lui envoie ne lui apprennent pas ce qu’elle ignore : ils la troublent et la désorientent.

Ne nous occupons pour le moment que de la première période, de la période exclusivement grecque de la campagne.

Ce fut dans les premiers jours du mois de juin 1826 que Reschid-Pacha, laissant ses dépôts à Missolonghi et combinant ses mouvemens avec ceux du pacha de Négrepont, Omer-Vrioni, se mit en marche pour descendre dans les plaines de l’Attique. Les Grecs occupaient encore l’Acro-Corinthe et les défilés des monts Géraniens, Ils coupaient ainsi toute communication entre l’armée turque et l’armée égyptienne. Ils gardaient même, par les sentiers qui longent le golfe d’Egine et le golfe de Lépante, un débouché ouvert de Mégare sur Salone. Il leur eût fallu la possession des passes du Cithéron et de tous les cols du Parnès pour empêcher Reschid de tirer ses approvisionnemens de la Thessalie, ses renforts des provinces albanaises. Maître des routes qui vont d’Athènes à Thèbes, de Thèbes à Missolonghi et au canal de Négrepont, le séraskier pouvait se passer des secours qui lui viendraient de la mer, et une longue expérience lui avait appris que de la mer il n’en devait pas attendre. Thèbes était donc le nœud vital de son entreprise. S’il perdait ce plateau, sa situation devenait à l’instant très grave. L’Attique pouvait être le tombeau de l’armée ottomane, comme l’extrémité de la péninsule italienne a été tant de fois le tombeau des Français.

Le 19 juillet 1826, le brick le Cuirassier, commandé par le capitaine de frégate Jacques Le Blanc, était au mouillage de Salamine, en face du village d’Ambellaki. Depuis trois jours, les Turcs avaient envahi la plaine d’Athènes ; ceux de Négrepont y étaient arrivés les premiers. Le Pirée et toute cette partie de la côte de l’Attique étaient déserts. Les capitaines athéniens avaient dévasté eux-mêmes et fait évacuer les villages environnans pour ne laisser aucune ressource à l’ennemi. Plus de 5,000 réfugiés, chassés de l’Attique et de la Béotie, vivaient entassés sur l’île de Salamine, Tout leur manquait