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colonel Fabvier accepta la tâche périlleuse d’introduire des munitions dans la citadelle. Le 12 décembre vers minuit, il débarquait avec 600 hommes dans la baie de Phalère. Chaque soldat portait sur ses épaules un sac rempli de poudre. Les trois points principaux qu’occupaient les Turcs étaient la ville, le monument de Philopapus sur la colline du Musée, et le village de Patissia. Il fallait traverser rapidement ces lignes et surtout éviter un échange de coups de feu.

Fabvier fit enlever les pierres des fusils, et ce fut à la baïonnette qu’il lança ses troupes sur les lignes ottomanes. La lune dans son plein éclairait ce combat, mais, si elle favorisait le tir des Turcs, elle montrait aussi aux Grecs leur chemin. L’espace qui séparait la tranchée du théâtre d’Hérode Atticus fut franchi sous une pluie de mitraille et de balles. Fabvier put toutefois atteindre les murs de l’Acropole sans avoir laissé sur le terrain plus de 6 hommes tués et de 14 blessés. Cette action de guerre fut vigoureusement conduite ; elle jeta un certain lustre sur une troupe qui avait jusqu’alors rencontré moins de partisans que de détracteurs. La garnison de l’Acropole accueillit les tacticos comme des sauveurs ; quand Fabvier voulut de nouveau forcer les lignes turques pour rentrer au camp d’Eleusis, elle refusa de le laisser partir. « Deux fois, écrivait le colonel, j’ai voulu attaquer l’ennemi. Tout le monde s’est précipité derrière moi, les portes mêmes sont restées abandonnées. Je ne puis faire mine de descendre vers la tranchée sans avoir sur mes talons malades, femmes et enfans. Si je pars, disent-ils, tout le monde partira en même temps que moi. »

Fabvier se trouvait donc retenu malgré lui, enfermé dans la citadelle par la nécessité de conserver à la Grèce cette position importante. « Je devrais cependant être dehors, répétait-il souvent ; je sais quelles difficultés auront les généraux grecs à marcher en champ ouvert avec des irréguliers. Avec nous au contraire, opposant notre infanterie à la cavalerie turque, lançant nos cavaliers sur l’infanterie albanaise, détruisant les tambours à coups de canon et les enlevant à la baïonnette, le succès me paraîtrait certain. Je ne le vois pas aussi clair, si on attaque sans nos tacticos les Turcs retranchés… Heureusement, ajoutait-il, Karaïskaki est prudent. Il n’ignore pas que son armée est la dernière espérance de la Roumélie. Il me trouvera toujours zélé, quoiqu’il se soit laissé entraîner par quelques coquins à de fausses idées sur mon compte. »

Karaïskaki était prudent, mais les chefs européens qui allaient prendre la direction des affaires militaires de la Grèce, Cochrane et Church, devaient, dans leur présomptueuse impatience, tenir peu de compte des avis et des connaissances stratégiques d’un capitaine d’armatoles. Ils avaient en trop faible estime l’ennemi qu’il fallait