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souvent me déplaisent ; c’est bien le moins qu’en revanche je dispose de ma personne et de mes passions comme il me plaît, que je sois la maîtresse chez moi, qu’il y ait un endroit en Espagne où je fasse tout ce que je veux. » Le mal est qu’une reine peut moins qu’un roi braver les commérages des oisifs ; elle est comme ce malade à qui il semblait que son ombre était sensible et qui lui-même croyait souffrir de tous les coups qu’elle recevait. La reine catholique doit veiller à ce que son ombre puisse se promener dans Madrid sans y être insultée. C’est un malheur pour le régime constitutionnel que le souverain y ait personnellement trop à craindre de la liberté de la presse ; c’est un malheur aussi qu’il ait besoin de mettre une épée entre les médisans et lui, et de confier la présidence du conseil à des généraux chargés de savoir exactement tout ce qui se dit daes les casernes.

Aussi bien une reine forme en vain le ferme propos de se réserver l’empire de sa maison et d’abandonner à la loi le gouvernement de la chose publique ; elle ne peut se flatter que ce partage subsistera toujours ; tôt ou tard ces deux gouvernemens entreprennent l’un sur l’autre. Les influences secrètes qui décident tout à la cour veulent décider aussi dans l’état, et la camarilla ne sera contente que le jour où elle disposera des portefeuilles. Le plus grave reproche que l’histoire puisse adresser à la première reine constitutionnelle de l’Espagne, c’est qu’elle a trop souvent conspiré contre ses ministres. Son devoir était de remédier autant qu’il était en elle à l’excessive instabilité du pouvoir, qui empêchait tout esprit de suite dans les desseins, paralysant les affaires comme les volontés ; au lieu de combattre les aventures et les intrigues, elle leur a été trop complaisante. Plus d’une fois l’opinion du pays lui a imposé pour ministres des hommes d’un mérite rare, d’un esprit vraiment libéral, qui méditaient d’utiles réformes et ambitionnaient de fonder en Espagne le règne de la liberté légale. Pendant qu’ils s’efforçaient de réduire une opposition sans scrupules ou de ramener une majorité en débandade, d’occultes inimitiés minaient sourdement le terrain sous leurs pas. Ils n’avaient pas seulement affaire aux cortès, il fallait se défendre contre le favori et contre le confesseur. Les embûches et les sapes les ont tués. Fatal est le gaspillage des finances, plus fatal encore le gaspillage du respect et des talens.

La crainte du carlisme fut longtemps pour la reine Isabelle II un frein salutaire. Elle ne pouvait combattre le roi absolu qu’en prenant les couleurs de la liberté, en opposant principe à principe, en prouvant à l’Espagne qu’elle était vraiment une reine constitutionnelle. Quand les carlistes ne furent plus redoutables, la fille de Ferdinand VII s’est sentie plus libre d’obéir à ses goûts, à ses anti-