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de prose ou de poésie, qui est aussi l’un des exercices nouveaux qu’on nous vante? Il est bon de demander quelquefois de ces sortes d’appréciations aux jeunes gens, surtout oralement. Il serait bien déraisonnable de faire de l’appréciation littéraire écrite un exercice habituel. Ce n’est pas que la critique soit plus malaisée que l’art, elle exige des qualités qui s’épanouissent de moins bonne heure; on a vu des orateurs et des poètes à vingt-cinq ans; mais des critiques à dix-huit! Et encore une fois, qu’est-ce qu’il y a qui soit plus du métier d’écrivain que la critique? Et vous qui reprochez à l’éducation du collège la production surabondante de lettrés dont elle monde la société, c’est vous qui recommandez, comme matière journalière de travail au collège, la critique ex professo! Que dire enfin des lettres familières ! Parmi les moyens qu’on a imaginés de soustraire les enfans à la convention et au factice, c’est celui dont on paraît le plus ravi. Les enfans n’auront qu’à raconter en de courtes épîtres les événemens, les chagrins et les joies de leur vie, quoi de plus facile! En effet, l’idée est heureuse; mais qu’est-ce que les événemens de la vie d’un enfant? c’est son entrée au collège, une promenade à la campagne, un voyage de vacances, et après? Ce qui reste après, ce sont les réalités douloureuses dont notre destinée à tous est semée, la ruine d’un père, la maladie d’une mère, la mort d’une sœur; la belle matière à développer en classe! On demande du réel; hélas! le réel est trop réel !

Notre démonstration a été longue; nous osons croire qu’elle est complète et décisive. Aucune des formes de composition littéraire qu’on nous offre ne remplace le discours, et le discours, qui les peut embrasser toutes en son cadre à la fois défini et large, tiendrait au besoin la place de toutes. Les hommes de sens et de savoir qui se sont avisés de prononcer la condamnation absolue du discours ne peuvent pas ne pas discerner clairement l’insuffisance des exercices scolaires qu’ils prétendent y substituer. D’où vient donc leur antipathie pour le discours? Nous craignons que le discours ne soit leur victime expiatoire, les humanités forment le véritable objet de leur répugnance; ils n’ont peut-être pas assez de résolution d’esprit pour s’avouer à eux-mêmes qu’ils les veulent retrancher de l’éducation, c’est pourtant à ce but qu’ils tendent. Comme le discours leur paraît à la fois la mise en œuvre suprême et le résumé de l’éducation par les humanités, ils trouvent plus commode de s’en prendre à lui. Cette pièce principale une fois arrachée de l’édifice, tout le système de l’enseignement classique tombera insensiblement et de lui-même. Après qu’ils l’auront ruiné, que feront-ils? Ils mettront à sa place les langues vivantes, les mathématiques, l’histoire, la géographie, la grammaire comparée, les sciences naturelles. Tout cela pourra être l’instruction, le savoir et