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dit-il, recevait l’ordre d’imprimer tous les jours, au-dessous du titre, en lettres longues comme les doigts, cette phrase : « le peuple, c’est la canaille ! » elle serait assez lâche pour obéir. Eh bien ! que le peuple accepte ce terme d’ignominie et le change en un titre de gloire, comme ont fait les gueux des Pays-Bas, insurgés contre la tyrannie espagnole, ou les combattans de la commune de Paris succombant sous la rage des Versaillais ! »

Ces combattans de la commune de Paris sont les héros du prolétaire allemand. Il faut bien dire au reste que ce parti du désordre cherche en France son appui et des exemples. Lassalle faisait dater du 24 février 1848 l’avènement du quatrième ordre, et Karl Marx veut que l’armée internationale attende pour signal du combat que le coq gaulois « ait chanté. » L’insurrection communiste avait été saluée par les applaudissemens des socialistes d’Allemagne ; ils déplorent sa chute comme un des malheurs qui ont frappé l’humanité. Tous les ans, ils fêtent l’anniversaire de son avènement, et leurs journaux se recueillent à la fin du mois de mai pour réprouver les horreurs de « la sanglante semaine. » Le 31 mai dernier, l’État populaire remplissait ce devoir dans une page étrange où la légende de la commune est déjà toute faite. Il passe en revue sa trop courte histoire. Déjà l’affranchissement du travail était commencé : la Babylone moderne était purifiée ; pas un crime, pas uns débauche ; les filles perdues avaient été ramenées au bien, ou renvoyées à leurs souteneurs de Versailles ; Raoul Rigault, ce martyr calomnié, exerçait avec le plus scrupuleux respect de l’innocent son rôle de justicier. Cependant la commune, légiférant d’une main, combattait de l’autre, et sa défense improvisée s’imposait à l’admiration du monde. Il fallut pour la réduire la coalition infâme des ennemis de la veille. M. de Bismarck et M. Thiers, qui apparaissent dans ce drame sous des traits de réprouvés et de maudits, signent à Francfort le pacte des bourgeois de France et d’Allemagne. Pour avoir les 500 millions qui lui seront comptés après la soumission de Paris, M. de Bismarck dirige en foule les prisonniers français vers la ville assiégée. Le 20 mai, le pacte était ratifié, et le 21 les Versaillais entraient dans Paris. « L’assassinat en masse commença, 10,000 hommes tombèrent sur les barricades, 30,000 au moins, prisonniers ou blessés, furent égorgés par les vainqueurs ; beaucoup de femmes et d’enfans, en tout 50,000 hommes avaient péri. Trente jours après, Thiers payait fidèlement à Bismarck les 500 millions pour 50,000 hommes, c’est-à-dire 10,000 francs par tête. Le prix du sang-était gagné ! »


III.

Tels sont les sentimens de la presse socialiste en Allemagne. Les victoires de nos voisins n’ont pu les préserver du mal que la