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acerbes de nature à compromettre les intérêts de son pays, surtout en ce moment, et à créer des embarras au gouvernement lui-même. Les évêques français et les légitimistes qui préconisent une telle politique ne s’aperçoivent pas qu’ils sont les meilleurs auxiliaires de M. de Bismarck, qu’ils s’exposent à rejeter vers l’Allemagne une nation qui, par ses goûts, par ses idées, par ses intérêts permanens, est une alliée naturelle de la France, Est-ce donc ce qu’ils veulent ?

Dans ce tourbillon des peuples contemporains gagnant ou perdant tour à tour l’influence au jeu des batailles et de la politique, le succès est à ceux qui ont de la ténacité, qui savent poursuivre un dessein et marcher à leur but sans dévier. La Russie n’a cessé de grandir et de s’étendre par la puissance d’une idée fixe. Elle a sans doute ses revers et ses mécomptes comme les autres nations ; elle attend les occasions, elle se recueille, comme elle le disait un jour, et bientôt elle se remet en marche. Elle a profité de la dernière guerre et du désarroi de l’Europe occidentale pour effacer les traces de ses défaites de Crimée ; aujourd’hui elle s’avance en pleine Asie, jusqu’à Khiva, dépassant les étapes de Tachkend et de Samarkande, qu’elle a successivement atteintes et franchies. Elle occupe le khanat, elle campe sur l’Amou-Daria, non loin de la Perse et de l’Afghanistan, et, par une marque nouvelle de cette suite qu’elle met dans ses desseins, elle se trouve dans des régions qui attiraient déjà l’attention de Pierre le Grand il y a un siècle et demi. C’est le résultat de cette expédition qu’elle était obligée de préparer l’an dernier par des négociations diplomatiques pour ne pas trop exciter les ombrages de l’Angleterre, et qu’elle a résolument accomplie dans ces derniers temps. Après tout, si les Russes y gagnent en influence, s’ils étendent le réseau de leurs suzerainetés sur ces contrées barbares, la civilisation en profite à son tour, elle trouve un chemin à demi frayé, elle pénètre avec plus ou moins de lenteur à la suite de ces énergiques explorateurs. La Russie a commencé sa campagne au printemps ; elle a mis d’autant plus de soin à la préparer que déjà dans des entreprises semblables elle s’était vue arrêtée par toute sorte d’obstacles, faute de connaître suffisamment le terrain sur lequel elle s’engageait. Cette fois elle n’a pas voulu rester en chemin, et elle a réussi ; elle a pu accomplir en pleine Asie ce que les Espagnols d’autrefois appelaient une « journée, » une marche qui n’a pas duré moins de quatre-vingts jours.

L’expédition était placée sous la direction supérieure d’un aide-de-camp de l’empereur, le général Kaufmann ; elle devait s’avancer sur Khiva en trois colonnes, l’une composée du détachement du Turkestan, et partant de Tachkend, les deux autres se composent des détachemens du Caucase et d’Orenbourg, sous les ordres du général Vereuvkine. Les forces de terre devaient être appuyées par une flottille à vapeur pénétrant par le delta de l’Amou-Daria et remontant le fleuve. Battre les soldats khiviens une fois qu’on les joindrait, disperser ces