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autre trempe, aussi calculé qu’énergique, visait avant tout au solide ; son opiniâtreté catalane préférait à l’avantage de régner le plaisir savoureux de gouverner, c’est-à-dire de vouloir et d’imposer aux autres sa volonté.

Il y a partout des hommes qui arrivent à leurs fins par des aventures ; ce qui est plus commun en Espagne qu’ailleurs, c’est l’aventurier de race ou l’aventurier épique, lequel n’a dans le fond d’autre dieu que son intérêt, mais réussit par ses audaces et par une sorte de générosité native à donner un air de grandeur à ses calculs, un vernis de gloire et de poésie à ses convoitises. Tel nous apparaît le héros favori de l’Espagne, le fameux Campeador, depuis que la critique l’a dérobé à ce nuage lumineux dont l’avait enveloppé la légende. Le Rodrigue qu’a célébré Corneille n’était que la vision d’un poète ; le vrai Cid de l’histoire fut un homme de proie que ses scrupules ne gênaient point, prêt à épouser toutes les causes, portant dans tous les camps l’inquiétude de son humeur et de son courage, tour à tour se battant pour son prince ou contre lui, servant le Christ ou Mahomet, et, si nous en croyons les chroniqueurs arabes, préférant un boisseau d’or au sourire de Chimène. Ses grands coups d’épée, la hauteur de son attitude, sa grandiloquence naturelle, ont tout racheté ; il avait reçu du ciel le talent de faire des mots, et la postérité se souvient des mots plus que des intentions. Le Romancero raconte que, pressé de partir pour une expédition et ayant besoin d’argent, il emprunta une très grosse somme à un Juif en lui donnant pour garantie un coffre plein de bijoux, qui, ouvert après son départ, fut trouvé plein de sable. À son retour, le Juif lui reprocha sa déloyauté. « Oui, c’était du sable, répondit-il magnifiquement ; mais ce sable renfermait l’or de ma parole. » Le propos est beau, quoiqu’un peu léger.

Ce n’est pas faire tort à l’ombre du général Prim que d’avancer qu’il était, lui aussi, un héros à la conscience légère ; est-on tenu d’avoir plus de convictions, plus de principes que le Cid ? « Savez-vous, disait un orateur de l’opposition, quel est le dieu du général Prim ? Le hasard. Savez-vous quelle est sa religion ? Le fatalisme. Savez-vous quel est son idéal ? Il rêve de retenir à jamais le pouvoir dans ses mains ; c’est à cela qu’il rapporte et sacrifie tout. Les institutions lui importent peu ; il les plie à ses convenances. Les lois lui importent moins encore ; ce sont des toiles d’araignée, que balaie le sabre de ses capitaines-généraux. Les partis ne sont rien pour lui ; il les dissout. Ses engagemens ne l’ont jamais incommodé, il les oublie. Les alliances les plus incroyables ne lui répugnent point, pour que lui et les siens y trouvent leur compte. »

Il est juste d’ajouter que le général Prim, parvenu au pouvoir, fit