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majorité. Vraiment ce serait de ma part trop de candeur, et j’y perdrais mes peines. J’aurai beau leur prodiguer les plus cruelles injures, leur attribuer les projets les plus extravagans, les plus monstrueux ; — ils ne s’en offenseront pas, ils continueront à se taire. Je vais les prendre tous à partie en les appelant par leur nom. Je ne dirai rien à M. Canovas, il occupe dans cette chambre une place à part ; mais j’interpellerai hardiment M. Posada Herrera, qui est à la fois son ami et son ennemi, qui se trouve dans une situation indéchiffrable, presque impossible. Quoi que je lui dise, M. Posada Herrera restera bouche close. Après cela je jetterai le gant au plus impétueux de tous les orateurs de cette assemblée, à celui qui engage volontiers des batailles, assuré qu’il est d’en sortir vainqueur. En dépit de ma petitesse et de sa grande taille, quand je voudrais l’attirer hors de sa tente pour lutter avec moi, sa tente demeurera fermée. Vous le voyez, je ne puis réussir à faire parler ce très éloquent orateur qui s’appelle M. Rios Rosas. »

Puis, se tournant vers les progressistes : « Il y a de ce côté, poursuivait M. Castelar, des hommes qui sont dans un état d’inimitié latente avec le gouvernement. Par exemple M. Mata dirige une fraction de parti qui a donné quelques soucis au président du conseil. Je le nommerai, et il ne parlera pas. Je fournirai ensuite à M. Madoz l’occasion de crier : Vive le duc de la Victoire ! Il ne criera point ; comme tout le monde, il se taira. » Et s’adressant enfin aux radicaux : « Je regarde à cette heure les bancs où siègent nos anciens coreligionnaires, et je demanderai à M. Rodriguez, qui est, lui aussi, d’un tempérament belliqueux, pourquoi il nous a abandonnés. Quoiqu’il ait peine à se contenir, quoique le mot : je demande la parole ! erre continuellement sur ses lèvres, vous verrez qu’il ne la demandera pas. Près de lui siège M. Martos. Il est mon ami, mais il ne m’honore pas de ses confidences politiques, et j’en suis réduit à deviner ses sentimens par son attitude, par ses airs de tête, car en vérité, je vous le dis, cette chambre est une assemblée d’ombres. Ici personne ne dit rien ; ici il n’y a que deux choses franches, ma parole et le visage de l’amiral Topete. M. Martos a des chagrins, des dégoûts. Le gouvernement s’est engagé à faire un quart de conversion à droite, et mon ami en est profondément affligé. Pourquoi ne parle-t-il pas ? pourquoi ne déploie-t-il pas sa bannière ? Ce chef de parti fera la même chose que les autres chefs ses rivaux, il s’enfermera dans le silence ; son parti fera la même chose que les autres partis, il s’enveloppera dans la nuit du mystère. Demandez-vous l’explication d’une énigme si étrange, je vous la donnerai. Tous se taisent, parce que tous espèrent quelque chose du général Prim pour leurs solutions respectives. »

L’orateur déclarait en finissant que ce qui se passait dans la