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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/498

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faute de rien savoir. Fort considéré et entouré, l’ambassadeur, dont la conduite a été injustement critiquée, était en situation de tout savoir ; ses informateurs habituels l’entretinrent plus d’une fois de projets et de négociations qui, au demeurant, étaient le secret de tout Madrid. S’il ne fit rien pour les traverser, c’est qu’il suivit fidèlement les instructions qui lui étaient données. On lui mandait qu’il devait réserver son influence pour combattre la plus fâcheuse des candidatures proposées, celle du duc de Montpensier, qu’au reste il eût à intervenir le moins possible afin de n’être point accusé de gêner les Espagnols dans la liberté de leurs résolutions, qu’à l’égard du prince de Hohenzollern il pouvait être sans inquiétude : on avait tiré parole de la Prusse qu’elle n’autoriserait point ce prétendant. Par malheur, la Prusse se ravisa, et le général Prim reçut un jour de Berlin une lettre dont le post-scriptum était conçu à peu près en ces termes : « si vous étiez toujours dans les dispositions dont nous a entretenus M. Salazar y Mazarredo, nous pourrions peut-être nous entendre. »

Un homme d’état qui a fait son chemin par les aventures, quel que soit son mérite, se ressent toujours de ses origines. Il ne se défie pas assez de sa fantaisie, il a je ne sais quelles fumées dans la tête ; tôt ou tard son imagination, se brouillant et confondant les genres, coud à des chapitres d’histoire des dénoûmens romanesques. Si invraisemblable que cela paraisse, le général Prim se flattait de gagner Napoléon III à ses projets. Enhardi par ses succès parlementaires, plein de confiance dans sa dextérité, il s’était dit : « Je persuaderai l’empereur comme je persuade ma majorité. Après m’avoir entendu, il agréera mon candidat, qui est son parent ; sinon je lui ferai acheter mon désistement par la promesse formelle de mettre à l’aise la cour de Florence, et de me prêter dans mes négociations pour obtenir un prince italien le concours qu’il m’a refusé jusqu’aujourd’hui. » Le général se proposait de tenir secrète l’acceptation probable du gouvernement prussien jusqu’au jour où il pourrait avoir avec l’empereur une entrevue qui devait tout arranger. Il avait compté sans l’indiscrétion des grandes joies, qui n’ont jamais été discrètes. Son négociateur arrive à Madrid, porteur de la lettre par laquelle le prince Léopold de Hohenzollern acceptait sa candidature à la couronne d’Espagne. Il ne peut se tenir de parler. « Enfin nous avons un roi, ya tenemos rey ! » s’écrie un député. Ce cri traverse tout Madrid comme un éclair. Le général était absent, il chassait dans les montagnes de Tolède. Deux de ses amis allèrent l’attendre à la gare pour le féliciter sur l’heureuse issue de sa campagne diplomatique. Prim fronça le sourcil, tordit un gant qu’il tenait à la main. « Peines perdues ! s’écria-t-il à son tour ; c’en