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italien justement célèbre, accrédité auprès de lui comme ministre d’Italie, et qui jadis pour ses débuts avait servi en Espagne. Gouverneur, capitaines-généraux, grands personnages civils et militaires, chacun, après avoir défilé devant le roi, se retournait pour adresser au général qui un signe de tête, qui un regard de connaissance, qui un sourire ou un demi-sourire. La cérémonie terminée : « En vérité, général, se prit à dire le roi, il me paraît que vous connaissez tout le monde ici. — Cela n’est pas étonnant, sire, répliqua-t-il gaîment, j’ai commandé pendant deux ans la gendarmerie. »

Prim assassiné révélait au jeune souverain ce qu’il pouvait attendre de fanatiques sans foi ni loi ; le mot du général italien lui apprenait que parmi les hommes qui l’avaient fait roi il en était peu qui n’eussent jamais trempé dans aucune conjuration, et on n’a pas encore trouvé de conspirateur qui n’ait conspiré qu’une fois.


II

Ce règne, objet de tant d’espérances, n’a guère duré plus de deux années, qui n’ont pas été heureuses. Après quelques mois d’une existence facile qui autorisait les illusions, on vit les difficultés naître et grandir. L’audace croissante des républicains, bientôt remis de leur défaite et de jour en jour plus confians dans l’avenir, qui leur appartenait, le parti radical se scindant en deux groupes, dont l’un, conduit par un homme d’un génie amer et emporté, M. Sagasta, recherchait l’alliance de l’union libérale, tandis que l’autre, qui reconnaissait pour son chef M. Ruiz Zorrilla, inclinait de plus en plus vers les solutions républicaines, les coalitions les plus étranges, des chambres prorogées ou dissoutes, le pays élisant à quelques semaines d’intervalle des cortès sagastistes et des cortès zorrillistes, l’embarras des finances, le carlisme déployant de nouveau sa bannière dans les montagnes de la Navarre et de la Biscaye, de vains pourparlers avec les conservateurs représentés par l’ex-régent du royaume, le maréchal Serrano, et enfin un dernier ministère radical qui attente aux droits de la couronne et contraint le roi d’abdiquer, voilà l’ingrat résumé de ce règne de deux ans. Le mariage de l’Espagne avec un prince italien n’a pas réussi. Une courte lune de miel, des troubles de ménage accompagnés, d’aigres discussions, un divorce pour cause d’incompatibilité d’humeur, cette mélancolique histoire prête aux réflexions.

Qui faut-il accuser, le roi ou la nation ? L’opinion publique en Europe a pris parti pour le roi. Elle a reproché vivement à l’Espagne d’avoir manqué à sa fortune, d’avoir perdu par sa folie une occasion