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Grand-Palais, élevé par Nicolas Ier. Parmi les immenses toitures modernes, on voit ressortir un toit aux vives couleurs, formé de losanges rouges et blancs, surmonté d’une demi-douzaine de petites coupoles polychromes qui ont l’air d’une poignée de champignons multicolores. C’est le Palais du Terem, auprès duquel se trouve le Palais à facettes (Granavitaia palata), remarquable par le robuste pilier central qui soutient la voûte de sa grande salle. Tels sont à peu près les seuls débris du vieux louvre tsarien. Ravagé par le temps et plus ; encore par la main des hommes, dégradé par la vétusté poudreuse et par le vandalisme utilitaire, le Palais du Terem n’a été que sous le règne de Nicolas rendu à lui-même ; une restauration moderne a été nécessaire pour lui restituer son caractère ancien. Si l’on pénètre dans cette demeure autrefois redoutable, on est surpris des proportions exiguës des appartenons impériaux. Cinq pièces seulement, faiblement éclairées, de voûte très basse, d’une aussi médiocre étendue que celles d’un logement parisien à 1,800 francs, voilà ce qui constituait la résidence d’été du tsar de Russie ; mais la décoration en est à la fois splendide et sévère. Les voûtes et les parois des chambres sont presque partout revêtues d’un fond d’or sur lequel se détachent les images des martyrs et des rois, couronnés d’un nimbe resplendissant. Les saints évêques, avec le livre dans la main gauche et les doigts de la main droite levés comme pour bénir ou pour menacer, ouvraient leurs yeux immobiles sur l’hôte de ce palais. Le tsar était, chez lui comme à l’église même, sous l’œil de Dieu. Dans la salle à manger s’allongent jusqu’aux voûtes Constantin et sa mère Hélène, qui ont converti l’empire romain, saint Vladimir et sainte Olga, qui ont christianisé le monde russe, comme pour rappeler sans cesse au tsar sa mission apostolique. Dans la salle où le souverain réunissait son conseil, saint Nicolas le Thaumaturge, saint Alexandre Nevski, semblent vouloir prendre part aux délibérations et juger les jugemens du prince. Même décoration pour le cabinet de travail, la chambre à coucher, l’oratoire : comme s’il y avait besoin d’oratoire dans une maison qui était presque un sanctuaire, où la Divinité, se montrait partout présente et où des yeux d’outre-monde épiaient les actions et les pensées les plus secrètes du souverain !

Dans le cabinet du tsar, voici la cassette que l’on descendait tous les matins dans la cour du palais, afin que les plus humbles pussent venir y déposer une requête : chaque jour, le grand-prince opérait de ses propres mains la levée de cette espèce de boîte aux lettres et procédait lui-même au dépouillement de cette correspondance avec ses sujets. Par la fenêtre, on peut apercevoir la cour intérieure où jadis bourdonnait dès le matin la foule des courtisans, des pages, des chambellans. Voilà encore ce fameux Escalier rouge, que