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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/53

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que les mâles. Il arrive aussi que les sexes ne diffèrent pas. Cependant, quand il y a différence, en règle générale le mâle est plus beau et s’éloigne le plus du type de coloration de l’espèce. Les papillons ont conscience de leur beauté, puisqu’ils l’étaient. En effet, c’est le plus souvent la surface supérieure de leurs ailes qui offre le plus d’éclat; c’est aussi celle qui est le plus en évidence, et l’on voit l’insecte au repos exécuter de légers mouvemens de haut en bas qui semblent avoir pour but de faire remarquer sa ravissante parure. Au contraire, les géométrides et les noctuées quadrifides, chez lesquels le dessous des ailes est plus panaché et plus étincelant que le dessus, redressent sur leur dos les organes du vol et les maintiennent longtemps dans cette position, comme pour n’en montrer que la partie éclatante. Enfin les lépidoptères nocturnes ne manifestent pas cette espèce de coquetterie, que l’obscurité où ils volent rend inutile. Ce dernier fait offre donc la contre-épreuve des précédens; mais on a d’autres preuves de la sûreté avec laquelle ces animaux reconnaissent et distinguent les couleurs. Le sphinx aperçoit de très loin la fleur qui lui convient et s’abat sans hésitation sur le bouquet désiré : il entre quelquefois dans les appartemens, attiré par les couleurs des papiers de tenture. Il est capable, on le voit, d’admirer les belles teintes et sur l’insecte son semblable et ailleurs. On peut en conclure que les femelles ont une préférence marquée pour les mâles les plus brillans et qu’elles sont attirées par eux. Dans toute autre hypothèse, les ornemens merveilleux des lépidoptères seraient sans motif.

Si les papillons sont aptes à discerner les degrés de la beauté, les poissons le seront à plus forte raison, car M. Darwin affirme qu’ils possèdent une haute organisation mentale. Il cite la sensibilité délicate de l’épinoche, la martiale bravoure du saumon, la sollicitude paternelle du géophagus et du pomotis. Ainsi doués, comment n’auraient-ils pas le sens esthétique? Aucune observation directe ne démontre, il est vrai, qu’ils l’aient effectivement, mais une multitude de faits exigent qu’on le leur attribue. A l’époque du frai et par conséquent du choix matrimonial, le corps de la plupart des mâles brille d’un éclat éblouissant; le saumon mâle se marque sur les joues de bandes orangées, le brochet des États-Unis offre des teintes chatoyantes et irisées d’une prodigieuse intensité de ton. Au contraire après le frai, quand l’heure des séductions est passée, les couleurs pâlissent, les phosphorescences s’éteignent. Il y a plus : qu’un poisson soit battu dans un combat d’amour, soudain, en même temps que sa fierté tombe, sa fleur de beauté se fane. Qu’en ferait-il? Il va cacher sa honte et sa disgrâce. Le but de ces colorations printanières est donc manifeste : ce sont des magnificences