Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/541

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’impératrice, le nombre des femmes de tout rang qui servaient dans son palais s’élevait, vers la fin du XVIIe siècle, à 264. La maison masculine et surtout militaire de la tsarine était plus nombreuse encore. Une police rigoureuse servait à maintenir dans le devoir toute cette multitude. En revanche, la souveraine exerçait une sorte de protection sur ses gens. Elle s’occupait de marier les jeunes filles, surtout celles qui tenaient à elle par les liens du sang. Nous la voyons saisie un jour d’une bien singulière requête : un noble de sa cour porte plainte contre sa femme, qui le pinçait et le maltraitait ; il demande à être séparé de ce démon domestique. Beaucoup de requêtes à l’empereur étaient recommandées d’abord à la tsarine, qui était ainsi en quelque sorte investie du ministère des grâces.

Enfin, toute sainte femme, bonne maîtresse et soigneuse ménagère que pût être la tsarine de Moscou, il lui fallait bien consacrer un. certain nombre d’heures par jour à sa toilette compliquée. Tous les étrangers qui ont visité Moscou au XVIe et au XVIIe siècle ont vanté la beauté des femmes russes, et tous se sont étonnés du mal qu’elles se donnaient pour la gâter. « Elles sont extrêmement belles, dit Petreï ; elles ont une haute stature, le sein élégant, de grands yeux noirs, des mains exquises et les doigts fins ; par malheur, elles se peignent de toute sorte de couleurs non-seulement le visage, mais les yeux, le cou et les mains. Elles mettent du blanc, du rouge, du bleu, du noir. Les cils noirs, elles les teignent en blanc, les blonds en noir ou autre couleur sombre. Elles s’appliquent le fard d’une telle épaisseur et si maladroitement que cela saute aux yeux de tout le monde. » Cette mode s’était imposée généralement, elle était devenue tyrannique. « A l’époque de mon séjour à Moscou, continue le voyageur, la femme d’un boïar illustre, qui était admirablement belle, ne voulait pas d’abord se farder, mais elle fut en butte aux censures des autres dames. Elle méprise donc les coutumes de son pays ! disaient-elles. » Les maris portèrent plainte au tsar et obtinrent un ordre impérial pour obliger la boïarine à mettre du rouge. Par coquetterie, les Moscovites se noircissaient les dents, qui ne tardaient pas à se gâter sous l’action des préparations mercurielles. Elles se teignaient les cheveux, elles avaient même trouvé moyen de se noircir le blanc des yeux. Enfin, comme si tous ces enlaidissemens n’eussent pas suffi, elles décidèrent que la beauté de la femme, c’est l’embonpoint. Alors les Slaves à la taille élancée se mirent à envier l’obésité et la démarche d’oisons des femmes turques et tatares. Pour obtenir l’embonpoint asiatique, elles se condamnaient à rester immobiles des heures entières, à boire des drogues et à dormir, jusqu’à ce qu’elles eussent obtenu la déformation désirée.

Les femmes byzantines, qui avaient hérité de tous les secrets de