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situation. Il fallait être aveugle pour ne pas voir la logique cruelle qui liait désormais le sort de Paris à un armistice plus général, surtout lorsqu’on n’avait cessé d’invoquer cet armistice pour faire appel à la France.

Bref, on épuisait toutes les combinaisons, c’est-à-dire tous les moyens d’éluder ou d’atténuer l’inexorable nécessité. On ne voulait pas s’avouer qu’on n’était plus libre, qu’on allait négocier, non pas pour faire des conditions, mais pour avoir du pain, pour arracher une ville de 2 millions d’âmes à la mort. On sentait bien la fatalité, on se raidissait encore contre elle, et c’était à qui se déroberait à l’amertume du dénoûment. Le général Trochu se déchargeait sur le général Vinoy ; le gouvernement aurait voulu s’effacer devant les maires ; M. Emmanuel Arago proposait de rejeter le tout sur la population de Paris par cette imagination baroque d’une consultation de scrutin. Je veux dire la vérité telle que je la vois. La négociation étant admise, celui qui aurait dû aller la suivre, c’était le général Trochu. Seul il inspirait assez d’estime au quartier-général allemand pour faire respecter l’honneur de la défense, pour obtenir peut-être plus que tout autre, et seul aussi par sa compétence militaire il pouvait déjouer certains calculs, éviter des méprises faites pour aggraver le désastre. Il n’était plus gouverneur de Paris, il est vrai, il restait toujours président du conseil, et un peu plus ou un peu moins d’impopularité ne pouvait l’arrêter. Puisque le général Trochu se croyait obligé de s’effacer et que d’autres n’auraient pas eu une autorité suffisante, M. Jules Favre tranchait la question en prenant pour lui-même ce rôle d’Eustache de Saint-Pierre dont il parlait dans un conseil du gouvernement. Il le devait sans doute un peu comme ministre des affaires étrangères, mais c’était aussi à coup sûr une œuvre de douloureuse et patriotique abnégation. M. Jules Favre a pu se tromper plus d’une fois, et il allait se tromper encore assez gravement dans cette négociation. Il y a eu du moins dans cette longue épreuve deux momens où il se dévouait aux plus ingrates, aux plus pénibles missions, — au commencement du siège, à l’entrevue de Ferrières, et à la dernière heure. Le mérite de M. Jules Favre était de ne point hésiter, d’accepter d’avance toutes les amertumes de cette médiation du désespoir entre l’ennemi implacable qu’il avait à désarmer et une population passionnée qui s’acharnait à la résistance, qu’il fallait sauver, fût-ce malgré elle, d’une effroyable catastrophe.


II

Dès le 22 janvier au soir d’ailleurs, aussitôt qu’il avait eu la certitude que l’émeute était vaincue, sans attendre les dernières