Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/568

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parisien envoyé à Versailles n’était pas d’avoir consenti à traiter sur la situation militaire de province qu’il ne connaissait pas, d’avoir souscrit pour l’armée de l’est à des conditions que l’ennemi imposait avec l’arrière-pensée de s’en servir contre nous. Sur tous ces points, il cédait à des nécessités inexorables, à la violence des faits, et on oublie que, si l’ennemi avait demandé davantage, on n’avait aucun moyen de se dérober à ses exigences. Le négociateur français était excusable jusque dans cette hâte qu’il mettait à signer le soir du 28, puisque, si on eût attendu au lendemain, on se trouvait exposé à un jour, peut-être plus d’un jour de famine avant tout ravitaillement, et puisque, même en évitant de perdre ces quelques heures on allait être obligé d’accepter les vivres des Allemands, que M. de Bismarck d’ailleurs s’empressait d’offrir aussitôt qu’on lui dévoilait la vérité. La vraie et sérieuse faute de M. Jules Favre était, après avoir traité pour la province comme pour la ville assiégée, pour les armées extérieures comme pour l’armée de la défense de Paris, de prévenir le gouvernement de Bordeaux de la suspension des hostilités dans les termes les plus vagues, les plus insuffisans. « Nous signons un traité avec le comte de Bismarck, écrivait-il par le télégraphe dès le 28 au soir. Un armistice de vingt et un jours est convenu. Une assemblée est convoquée pour le 12 février. Faites exécuter l’armistice et convoquez les électeurs pour le 8 février. Un membre du gouvernement va partir pour Bordeaux. »

Il est clair que cette dépêche, ainsi transmise, ne disait au gouvernement de Bordeaux ni qu’il y avait un délai de trois jours pour l’application de l’armistice en province, ni que les opérations de guerre continuaient dans l’est, et M. Jules Favre n’en disait rien parce qu’il ne se doutait pas lui-même de la portée de ces clauses, sur lesquelles le général de Valdan n’avait pas été consulté. Trois jours après, dans un conseil du gouvernement à Paris, le général Trochu, inquiet parce qu’il pressentait la vérité, en était à demander si définitivement l’armée de l’est était exclue de la trêve. Il l’aurait beaucoup mieux su, s’il avait été présent à Versailles au lieu de laisser à M. Jules Favre le soin périlleux de trancher de son autorité incompétente les questions les plus délicates. Assistant aux négociations, il ne se serait pas mépris sur la pensée et le but de M. de Moltke. Il aurait pu, sinon sauver Bourbaki, déjà blessé de ses propres mains depuis le 26, et son armée, déjà fort en péril le 29, du moins atténuer le désastre par la précision des conventions ; au pis aller, s’il n’avait rien obtenu, il aurait su à quoi s’en tenir, il aurait compris, lui militaire, qu’on ne pouvait pas envoyer à Bordeaux l’ordre d’exécuter l’armistice sans ajouter aussitôt qu’il y avait un délai de trois jours pour la province, et que l’armée de l’est était