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offensés de n’avoir point été appelés en consultation, et avant la fin du jour tous les préfets recevaient une dépêche des plus graves où M. Gambetta, prenant un ton solennel et menaçant, laissait entrevoir ce qu’il appelait ses « résolutions personnelles, » et ajoutait : « J’ai décidé de maintenir le statu quo jusqu’à l’arrivée du personnage annoncé de Paris. Aussitôt après l’entrevue et les explications que j’aurai eues avec lui, vous serez avisé des déterminations politiques auxquelles je me serai arrêté… » L’orage s’amassait chez le jeune autocrate bordelais, et l’irritation allait naturellement en croissant, — elle était même cette fois assez légitime, — lorsque le lendemain 30 on recevait des plaintes amères de tous les généraux réduits à céder quelque portion de terrain qu’ils croyaient avoir le droit de garder, surtout lorsqu’on apprenait par le successeur de Bourbaki, le général Clinchant, que l’armée de l’est n’était pas comprise dans la trêve, que Manteuffel refusait de s’arrêter. M. Gambetta était exaspéré, comme il l’a dit depuis ; il n’avait pas tout à fait tort, d’autant plus qu’il ne savait réellement que faire. Eh ! sûrement M. Jules Favre avait commis la plus déplorable méprise en négligeant de dire que les délimitations des zones, avaient été fixées par l’armistice à Versailles, que l’armée de l’est était pour le moment en dehors du traité, et ce qu’il y avait de plus triste, c’est qu’on n’apprenait pour la première fois ces conditions que deux jours après, par M. de Bismarck lui-même, qui les transmettait à Bordeaux ; mais, si M. Jules Favre s’était trompé, M. Gambetta de son côté aurait mieux fait de réfléchir que de s’exaspérer et de jouer la tragédie. Avec un peu plus de sang-froid, il se serait dit que cette dépêche d’où naissait tout le mal venait du quartier-général allemand, qu’elle n’était qu’un avis télégraphique, et, en prévenant les généraux de l’existence de l’armistice, il les aurait avertis que les conditions n’étaient pas encore connues, qu’ils devaient se tenir en garde jusqu’à une information plus complète, régler leur attitude sur celle de l’ennemi. Alors il eût peut-être atténué un peu le danger et réparé jusqu’à un certain point la faute de M. Jules Favre ; mais non, M. Gambetta s’emportait, se révoltait, et ne tenait même pas compte des difficultés, de la gravité d’une situation qui était après tout son œuvre autant que l’œuvre du gouvernement de Paris.

Au moment où un traité de suspension d’hostilités venait d’être signé à Versailles, M. Gambetta faisait adresser par M. Laurier à tous les préfets de France une dépêche qui était une déclaration nouvelle de guerre, une négation présomptueuse de l’armistice. « La politique soutenue et pratiquée par le ministre de l’intérieur et de la guerre, disait-on, est toujours la même : guerre à outrance ! résistance jusqu’à complet épuisement ! .. Il faut à tout prix que