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son orgueilleuse exaltation, recevant d’heure en heure de toute la démagogie méridionale, des clubs de Lyon, de Marseille, de Toulouse, de Bordeaux même, les excitations les plus violentes, dont le dernier mot était toujours : « nous ne voulons pas d’armistice, nous ne voulons pas d’élections ! » M. Jules Simon avait affaire à forte et bruyante partie. Ou lui avait fermé le télégraphe aussi bien que toutes les autres communications avec les autorités publiques de la France. Il était réduit à se servir des timbres de quelques maisons de commerce pour faire passer à la dérobée ses dépêches, ses décrets, ses proclamations. Il tenait tête néanmoins, appuyé par tous les journaux, qui, malgré les saisies administratives dont les frappaient les agens de M. Gambetta, réussissaient encore à divulguer la vérité. M. Jules Simon gagnait un peu de temps et se disposait à soutenir la lutte jusqu’au bout, par tous les moyens, s’il le fallait. Avant d’en venir là toutefois, on hésitait. M. Crémieux se décidait à partir pour Paris, afin de porter ses conseils à l’Hôtel de Ville. De son côté, le gouvernement de Paris, bientôt informé de ce qui se passait à Bordeaux, des irritations qui grondaient à Versailles, avait senti la nécessité d’en finir avec une situation si violente, et pour venir en aide à M. Jules Simon, il expédiait M. Pelletan, M. Emmanuel Arago, M. Garnier-Pagès, qui, rencontrant sur leur chemin M. Crémieux, le ramenaient avec eux à Bordeaux.

Alors survenait une certaine détente. M. Gambetta se trouvait avoir contre lui non plus seulement tous les membres du gouvernement de Paris, mais encore ses collègues de la délégation, qui l’avaient suivi jusque-là et qui l’abandonnaient. Il finissait par donner sa démission, non cependant sans exhaler une dernière fois ses amertumes dans une circulaire où il prétendait que « sa conscience » lui faisait « un devoir de se séparer d’un gouvernement avec lequel il n’était plus en communion d’idées et d’espérances, » où il se plaignait d’un « désaveu » de sa politique, comme s’il avait le droit d’imposer sa politique, comme s’il n’avait pas lui-même pris l’initiative des protestations les plus périlleuses. M. Gambetta mettait fin plus ou moins volontairement à ce qu’un de ses collègues a depuis appelé son « règne. » C’était ce qu’il avait de mieux à faire ; mais il eût beaucoup mieux fait encore de commencer par là au lieu de jouer avec toutes ces orgueilleuses pensées de dictature ; il eût bien mieux fait de respecter le malheur de Paris et d’épargner cette dernière crise à la France, qui lui répondait aussitôt par la foudroyante élection du 8 février 1871.