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monie, d’ordre? M. Darwin a quelquefois l’air de penser que le seul éclat des couleurs ou la seule puissance des notes sonores peut constituer à un certain degré le beau visible ou le beau musical. C’est une grave erreur. Les savans travaux de MM. Fechner, Chevreul, Jamin, sur la lumière, ceux de M. H. Helmholtz sur l’acoustique, ont démontré que ce qui nous charme esthétiquement, ce n’est pas l’intensité des vibrations sonores, mais que ce sont les rapports selon lesquels elles se succèdent ou se produisent simultanément; quant aux couleurs, elles engendrent le plaisir du beau par la corrélation des nuances bien plutôt que par la vivacité perçante des tons. Et qu’est-ce qu’un rapport, sinon un lien qui rattache et systématise entre elles les choses particulières de façon à en composer des unités complexes, c’est-à-dire des objets généraux? — Dès qu’un objet excite notre admiration, si peu que ce soit, c’est que les élémens, les parties en sont rassemblées selon des rapports que la raison approuve; c’est qu’il y a là une composition, une ordonnance. Qui dit composition et ordonnance dit conformité à une loi générale de la nature et de l’esprit. Ainsi, quoiqu’il n’y ait pas de beauté sans vie individuelle ou sans expression de la vie individuelle, il n’y a pas non plus de beauté en dehors de tout principe, de toute loi, en dehors de toute généralité. Donc de deux choses l’une, ou bien l’animal n’a aucune notion du beau, ou bien il mêle à sa notion du beau quelque idée générale.

Si la bête n’a pas d’idées générales, toute la théorie de la sélection sexuelle s’écroule de fond en comble. M. Darwin varie constamment à cet égard. Nulle part sa psychologie n’est plus vacillante, je dirai même plus déconcertante, que sur ce sujet des idées générales de l’animal. On dirait qu’il n’y a réfléchi qu’en passant. Il eût cependant fallu y penser et se décider à bonnes enseignes. Plus on médite sur ce problème de psychologie comparée, plus on incline à conclure que l’animal est destitué de la faculté d’abstraire et de généraliser. Qu’en ferait-il en effet? Infaillible comme il l’est en vertu de son instinct, attaché à une industrie dont il accomplit tous les actes sans éducation, sans expérience, il n’a rien à prévoir. L’avenir, ce quelque chose qu’on nomme demain et qui est le cuisant souci de l’homme, n’existe pas pour l’animal. Pascal l’a dit avec son style puissant : chaque fois que la science est donnée à l’animal, elle lui est nouvelle. N’ayant pas eu à l’apprendre, il ne risque pas de l’oublier, et il la retrouve toujours. Où qu’il aille dans l’espace, la nature agit sur ses sens; ses impressions ébranlent ses organes; ses souvenirs, qui sont des images, produisent le même ébranlement que ses impressions; la forme de ses membres règle et détermine la forme de ses mouvemens. Ce n’est pas une machine, c’est