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qui en émane, toute clarté a pâli ; la morale spiritualiste de l’Évangile s’est substituée à la loi qui fut dictée au Sinaï et dans laquelle toutes les récompenses, toutes les punitions, sont étroitement limitées à cette vie terrestre. Ordinairement, lorsque les peintres représentent la Transfiguration, ils font de Jésus le Dieu promis, le Dieu tel qu’il sera, à la droite du Père, siégeant dans sa gloire et dans son omnipotence éternelle. Ah ! que M. Bida a été mieux inspiré ! C’est bien Dieu qu’il nous montre, mais le Dieu crucifié, si l’on peut dire, ayant déjà la forme adorable que lui donneront les bras du gibet. L’expression douloureuse du visage, le front renversé, disent assez que le soleil qui éclate autour de sa tête est près de se changer en couronne d’épines ; les yeux extatiques regardent peut-être les félicités futures, mais ils ne les aperçoivent qu’à travers les quatorze stations de la voie douloureuse : c’est l’homme qui se transfigure en Dieu à force de commisération et d’amour ; c’est bien là Jésus tel que ses disciples le virent dans cette heure d’éblouissement.

Toutes les fois que, dans ses excursions archéologiques en terre sainte, M. Bida a rencontré un monument contemporain du Christ, il l’a pieusement dessiné ; il le reproduit dans ses compositions, auxquelles il imprime de cette façon un caractère de vérité irrécusable. C’est ainsi que dans un des épisodes de la passion, lorsque Jésus pleure sur les filles de Jérusalem (saint Luc, XXIII), pour lesquelles il devine déjà la dure captivité romaine, M. Bida fait intervenir, comme une sorte de personnage historique, cet arc romain qui subsiste encore sous le badigeon dont les Turcs l’ont déshonoré, et dans lequel M. de Saulcy a reconnu l’arc de l’Ecce homo. La scène est très émouvante ; Jésus gravit la rue en pente, portant sa croix, que Simon de Cyrène soutient pour l’aider ; un cavalier romain l’escorte, et lui, qui va ignominieusement périr ; il se retourne avec un geste de compassion vers les femmes attendries et tout en larmes, pendant que le groupe des deux larrons environnés de peuple et de soldats le précède sur le chemin du Golgotha.

De même dans l’entrée de Jésus à Jérusalem (saint Jean, XII) l’artiste a eu soin de respecter l’esprit de la tradition, et il a dessiné la porte dorée aux pieds de laquelle s’éparpillent aujourd’hui des tombeaux musulmans. C’était en quelque sorte la porte sacrée de la ville sainte : c’est là selon l’évangile apocryphe de la nativité de la Vierge, que l’ange du Seigneur prescrivit à Channah (Anne) d’aller attendre Joachim ; c’est la porte que les croisés forcèrent au jour du dernier assaut, celle par où les chrétiens s’empareront encore de Jérusalem, un vendredi, pendant la prière de trois heures[1] ; elle

  1. Il est à remarquer qu’une tradition semblable existe à Constantinople et à Damas : porte dorée, porte murée ; là aussi la ville doit tomber au pouvoir des chrétiens, un vendredi, pendant la prière de trois heures.