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sentiment esthétique, ni à poser solidement les bases de la sélection sexuelle. Cette dernière conception, empruntée à l’ordre psychologique, n’est qu’une hypothèse, et elle demeure aussi peu justifiée par les faits que les hypothèses physiologiques de l’auteur.

Nous n’avons pas prétendu prouver autre chose. Il était peut-être temps que ce côté particulièrement faible du darwinisme fût mis à découvert. C’est de près et en détail, sans passion, sans colère, qu’il convient, selon nous, d’examiner cette prestigieuse doctrine, au lieu de l’accabler au hasard de vagues reproches qu’elle ne mérite pas toujours. On devrait, par exemple, cesser d’accuser M. Darwin d’athéisme, de matérialisme, de fatalisme, que sais-je encore? Le darwinisme a en réalité sa droite, son centre et sa gauche. À droite, on croit en Dieu et on le dit; à gauche, on se vante d’avoir anéanti le « créateur personnel, » et on voit dans cette destruction le dernier terme du progrès scientifique. Où siège M. Darwin dans ce conclave de ses partisans? À droite très certainement. Qu’il ait tort de ne pas rompre avec sa gauche, et même un peu avec son centre, j’en conviendrai. Là cependant n’est pas la marque la plus frappante de son infériorité philosophique.. Elle est dans les vices de sa méthode, elle est dans l’énorme intervalle laissé entre ce qu’il affirme et ce qu’il prouve, elle est dans l’usage trop inégal qu’il fait de la psychologie et de la physiologie. Néanmoins ses travaux, par la richesse des observations, par l’étendue et la diversité du savoir, sont une mine précieuse où la psychologie comparée puisera avec un profit immense, — à une condition cependant, c’est qu’elle résistera à la séduction de l’esprit de système, et qu’elle cherchera le vrai encore plus que le nouveau.


CH. LEVEQUE.