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C’était là une nécessité depuis longtemps sentie. Déjà les seigneurs hauts-justiciers qui n’offraient pas de garanties suffisantes de savoir avaient été contraints de faire rendre la justice par des officiers spéciaux dont on pouvait les exiger. De même les baillis, sénéchaux et prévôts royaux étaient obligés de se choisir pour lieutenans des hommes d’une instruction suffisante et d’une probité reconnue. Libres d’abord de se faire suppléer, on leur en fit dès 1493 un devoir. Il y eut donc partout des lieutenans qui, primitivement à la nomination du bailli ou du sénéchal, furent ensuite institués soit par le roi soit par les cours supérieures. L’un remplaçait le bailli dans toute étendue de son ressort ; on l’appelait le lieutenant-général du bailliage : l’autre ne le suppléait que dans des circonstances ou des circonscriptions déterminées ; c’était le lieutenant particulier. Afin de porter remède aux inconvéniens d’une trop lente justice, François Ier institua dans chaque bailliage et sénéchaussée un lieutenant criminel. Les prévôts eurent souvent aussi leur lieutenant. Ces divers offices se vendirent comme tous ceux de judicature. A dater de ce moment, le bailli et le sénéchal abandonnèrent leurs plaids ; ils firent ce qu’avaient fait jadis les seigneurs, qui « désertaient leurs assises, écrit un historien du parlement, M. A. Grün, par ennui, par négligence, par fierté solitaire et surtout par suite de leur insuffisance, dont ils eurent conscience du moment où rendre la justice fut devenu une fonction délicate qui imposait la peine de dénouer ce qu’on s’était habitué à trancher. »

Peu versés dans la jurisprudence, baillis et sénéchaux laissèrent le soin de rendre la justice à leurs lieutenans, qui devinrent les véritables présidens du tribunal, où la sentence se rendait pourtant au nom des premiers. Ceux-ci, étant gentilshommes, ne se réservèrent que la police, parce qu’elle avait un caractère militaire. A la tête des nobles et des gens de pied, ils allaient, ainsi que le prescrivait la déclaration du 6 juillet 1493 et conformément au vieil usage, faire des chevauchées, arrêter les vagabonds et les malfaiteurs. Ceci explique pourquoi, tandis qu’aux XVIe et XVIIe siècles on continuait à exiger des baillis et des sénéchaux la qualité de noble, elle n’était pas requise de leurs lieutenans, qui devaient en revanche justifier de leurs degrés en jurisprudence. Il y a un ou deux siècles, le titre de bailli et de sénéchal était seulement honorifique. Réputé chef de la noblesse dans son bailliage, le bailli en présidait les assemblées ; il était encore chargé de convoquer le ban et l’arrière-ban, qu’on n’appelait plus, il est vrai, sous Louis XIV et Louis XV. A lui restaient confiées en principe les mesures nécessaires à la garde et à la défense des fortifications des villes de son ressort ; mais ces attributions militaires étaient nulles dans la pratique, bien que, pour satisfaire certaines vanités, il eût quelquefois un lieutenant-général d’épée. Il