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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/867

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langage qui ont recommencé à compromettre notre avenir, et tout en parlant de nous faire des alliances parviennent à nous rendre impossibles jusqu’aux plus naturelles. L’illusion sur le caractère de nos voisins était complète, et vis-à-vis de ceux auxquels nous avions rendu le plus de services nous avons agi comme des gens qui, faute de les connaître, se conduisent de façon à se brouiller avec leurs amis. Si nous avions su ce qu’il y avait de gravité, de réflexion et de maturité, ce qu’il y avait de patience, de décision et d’esprit de suite chez le peuple italien, si souvent taxé de légèreté, nous ne lui aurions pas prêté notre appui pour faire mine de le lui retirer, et aujourd’hui tout le monde en France prendrait à tâche de ne pas nous faire un ennemi du pays qui nous est rattaché par le plus de liens de parenté. Si nous avions su ce qu’il y avait d’âpre et de dur, mais en même temps de solide et de résolu, ce qu’il y avait de convoitises cachées, mais aussi d’esprit pratique, d’esprit d’ordre et de discipline dans ce peuple germanique, si souvent raillé pour son idéalisme et son incohérence, nous ne nous serions pas si légèrement laissé mettre en travers de ses aspirations unitaires et exposer à de terribles rancunes.

Le caractère d’un peuple, comme celui d’un homme, dépend du tempérament ou du sang, du milieu physique et de l’éducation morale, sans compter ce qui chez l’individu tient à l’âge, chez le peuple à l’état de civilisation. Entre ces trois ordres d’influences, la race, la nature et l’histoire, on a, dans l’étude des nations, donné la primauté tantôt à l’une, tantôt à l’autre. Toutes trois ont leur importance ; mais, les peuples étant d’un sang plus mêlé que les individus, la première est plus difficile à déterminer, partant plus obscure, plus équivoque. En Russie même, on a souvent discuté si le caractère du Grand-Russien, ce qui le distingue des tribus russes occidentales, doit être attribué à son mélange avec les Finnois et les Tatars ou bien à son établissement sur une terre nouvelle. Les deux causes ont dû s’exercer concurremment, et la dernière, étant la plus persistante, a dû être la plus puissante. Deux raisons lui donnaient chez les Russes une prédominance particulière. C’est un des effets de la civilisation de neutraliser les forces du climat et du sol en élevant l’homme au-dessus de leurs atteintes ; en Russie, la culture étant plus récente et par suite moins profonde, la masse du peuple est demeurée plus près de la nature ; plus soumise à son empire. En outre, sous le ciel du nord, la domination du climat est plus absolue, son joug plus difficile à secouer. Le sol russe n’est point pour l’homme une demeure facile, construite et comme meublée complaisamment pour lui par la nature, c’est une conquête faite sur elle à main armée et gardée de même. Un tel pays ; à une époque de civilisation peu avancée, n’a pu manquer d’avoir une