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Pélasges et Teucriens se reconnaissent à leur toque plate et rayée ; les Tyrrhéniens ont un bonnet pointu, espèce de cône incliné en arrière. Tous ont des tuniques à raies et à quadrilles, — pour armes, le poignard ou courte épée droite à double tranchant et le bouclier rond. Ramsès III imposa aux vaincus un tribut d’étoffes et de grains. Les peuples des îles et des côtes de l’Asie-Mineure (que mentionne la table des peuples de la Genèse) étaient donc déjà des agriculteurs et d’habiles tisseurs aux XIIIe et XIVe siècles, avant l’époque de la thalassocratie chananéenne dans la Méditerranée. Quatre cents ans auparavant, les peintures égyptiennes de l’époque de Thothmès III ont montré qu’ils n’étaient plus des sauvages, depuis mille ans au moins. Les résultats des fouilles de l’île de Théra sont de tout point d’accord avec ces inductions. Enfin, au IXe siècle, le prophète Joël (III, 6), reprochant à Tyr et à Sidon de vendre aux « fils des Javanim » les enfans de Juda et de Jérusalem, confirme les rapports commerciaux que les peintures de Thèbes attestent avoir existé entre les Ioniens et les Phéniciens. L’antiquité d’une civilisation aryenne chez des peuples qui, comme les Ioniens d’Asie-Mineure, ont été dans l’Occident les porteurs d’une culture supérieure, nous paraît de nature à modifier les idées qu’on s’était faites jusqu’ici des premiers temps de l’Hellade.

Le lointain souvenir de l’Égypte resta toujours présent à l’esprit des Grecs d’Asie. La poésie de leurs aèdes, c’est-à-dire la conscience populaire, aimait à rappeler les villes opulentes de la vallée du Nil, les demeures somptueuses de cette Thèbes aux cent portes, toute retentissante du bruit des chars. Si leurs ancêtres n’avaient pas été à Thèbes, ils avaient vu du moins Héliopolis et Memphis. Durant des siècles, les Milésiens cherchèrent en vain à pénétrer dans les bouches du Nil : l’Égypte leur demeurait fermée, comme l’a été si longtemps la Chine. Tout au plus parvinrent-ils, au milieu du VIIIe siècle, à établir un simple entrepôt dans le Delta. Il ne fallut pas moins que l’anéantissement de la puissance des Pharaons sous les coups des armées formidables d’Assur pour que les Grecs, profitant de l’anarchie qui suivit la conquête, fissent remonter le Nil à quelques vaisseaux de guerre. Un prince de race libyenne, Psamétik, fils de Néko, fit au VIIe siècle, en montant sur le trône, la fortune de ces descendans des pirates ioniens et kariens.

Ce n’est qu’à cette époque, relativement moderne, que les Grecs asiatiques purent contempler de près les villes, les temples de l’Égypte, étudier par eux-mêmes les arts et la civilisation de ce pays. Contrairement aux idées qui ont régné si longtemps parmi les érudits et que les Grecs ont les premiers répandues, l’influence directe de l’Égypte a donc été à peu près nulle sur le développement primitif des peuples de l’Asie-Mineure et de l’Hellade.