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lequel Hérodote s’est arrêté, qu’il a examiné et décrit, après s’être informé, selon sa coutume (II, 106). Voilà bien le guerrier qui porte une lance dans la main droite, et de la gauche tient un arc. On ne retrouve plus sur le baudrier cette inscription gravée en caractères hiéroglyphiques qu’Hérodote se fit traduire. Il a dû prendre pour des hiéroglyphes des caractères cunéiformes, car, outre le style bien asiatique de l’image, on sait que ce n’était point sur la poitrine des pharaons que les textes égyptiens étaient disposés. Quel est son nom, sa patrie ? demande Hérodote. On l’ignore. Il voit bien que ce n’est pas ainsi que s’habillent les Égyptiens. Il parle de l’Ethiopie, nom par lequel il désigne la Syrie ; il rappelle l’opinion de ceux qui croyaient reconnaître une statue de Memnon, autrement dit d’un roi assyrien, Il est évident qu’Hérodote ne sait trop quel parti prendre, et que le souvenir de Sésostris, dont les prêtres lui avaient tant parlé, vient là fort à propos pour rassurer sa conscience d’antiquaire.

A Ghiaour-Kalési, « la forteresse des infidèles, » vieux burg phrygien bâti en appareil polygonal, on voit sculptées sur le rocher, près de l’entrée du donjon, deux figures colossales. Tout d’abord on songe au bas-relief de Nymphi : même style énergique et rude, même pose, même mouvement. Le corps se porte en avant, les jambes marchent, l’un des bras est étendu, l’autre replié devant la poitrine. L’arc et la lance font ici défaut, mais c’est la même épée, courte et large, à la garde en demi-lune, qui pend à la ceinture. La même tunique, serrée au-dessus des hanches, descend jusqu’aux genoux, les jambes paraissent nues, les souliers ont la pointe relevée et recourbée en arrière ; pour coiffure, la même tiare ou bonnet conique sur lequel se dresse le serpent appelé uræus. La première figure est imberbe ; la seconde porte la barbe abondante et taillée en pointe, comme sur les bas-reliefs assyriens ; le nez aquilin, les traits fortement accentués, augmentent l’illusion. Malheureusement le roc est trop fruste pour que l’œil des personnages achève la révélation. Fils de Sem ou de Japhet, leur image a été taillée par un ouvrier à qui les sculpteurs de l’Assyrie ou de la Médie avaient appris à manier le ciseau. Voilà certes un monument de l’art lydo-phrygien dont l’origine asiatique n’est pas contestable. Quant au nom et à la patrie de ces héros, hommes ou dieux, on peut y rêver à loisir, comme fit Hérodote devant la figure de Nymphi. Que n’avons-nous encore la consolation d’évoquer la grande ombre de Sésostris !

Passons l’Halys, pénétrons dans les cantons montagneux et sauvages de la Cappadoce, et, près du petit village de Boghaz-Keuï, regardons les bas-reliefs sculptés sur les rochers d’Iasili-Kaïa. Quel est ce lieu ? La capitale de la Ptérie, comme l’avait supposé Texier.