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garanties, il ne sait, pas ce que cela veut dire ; les garanties, elles sont tout entières dans son principe, dans sa loyauté, dans cette foi en lui-même qu’il avoue tout haut avec une sorte de candeur imperturbable et fière lorsqu’il dit : « Je suis le pilote nécessaire, le seul capable de conduire le navire au port, parce que j’ai mission et autorité pour cela !… » Avec cette idée de son rôle et de sa mission, M. le comte de Chambord ne peut comprendre nécessairement qu’on veuille traiter de pouvoir à pouvoir avec le droit antérieur et supérieur qu’il représente, et dans tous ceux qui vont auprès de lui il voit, non des mandataires de la souveraineté nationale ou d’une assemblée, mais des coopérateurs qui peuvent s’associer à son œuvre. Après ces explications, qui ne sont pas sans doute celles qu’attendaient les hommes engagés dans l’aventureuse entreprise d’une restauration monarchique, on pourrait peut-être répéter ce que disait un jour le vieux duc de Broglie : « Est-ce clair ? »

On ne peut certes tenir un langage plus haut et plus fier. Si M. le comte de Chambord, fatigué de malentendus et d’obsessions, a voulu en finir, rien de mieux, il a réussi. On peut dire seulement qu’il laisse entrevoir une préoccupation bien étrange, qu’il se fait une idée singulière de la royauté telle qu’elle peut être dans notre temps. Ce n’est pas la première fois que M. le comte de Chambord, dans ses lettres ou dans ses manifestes, parle de sa dignité, des sacrifices d’honneur qu’on lui demande, auxquels ils ne peut consentir. Il se trompe évidemment, personne n’a pu et n’a dû lui demander d’oublier son honneur, et puisqu’il évoque le nom d’Henri IV, en ajoutant qu’il n’y aurait pas eu un imprudent assez osé pour proposer à son aïeul de renier l’étendard d’Ivry, il ne se souvient pas que le brave Béarnais, le plus Français de tous les rois, consentait à bien autre chose, à un changement de religion, qu’il ne se croyait pas déshonoré parce qu’il assemblait docteurs et prélats pour se faire instruire, et parce qu’il se montrait même un catéchumène assez docile. Henri IV accomplissait gaîment et spirituellement ce qu’il appelait le « saut périlleux, » et à qui faisait-il ce sacrifice, plus sérieux que l’expression dont il se servait ? Tout simplement à la France, et, parce que c’était l’intérêt de la France, il trouvait « tout aisé et honorable. » C’est là en effet toute la question. M. le comte de Chambord se montre jaloux de son honneur, il en parle sans cesse, et c’est assurément la plus noble préoccupation ; mais l’honneur du pays n’est-il donc rien ? Ne lui doit-on pas des ménagemens, et même, s’il le faut, quelques sacrifices ? Est-ce qu’un prince s’abaisse et s’avilit parce qu’il adopte le drapeau sous lequel nos armées ont été heureuses ou malheureuses, mais toujours dévouées à la France, parce qu’il s’associe aux idées, aux instincts, aux préférences, de tout un pays, parce qu’il accepte les conditions d’existence publique auxquelles une nation est accoutumée ? M. le comte de Chambord se révolte à cette seule pensée,