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baron de Bunsen auprès du roi de Prusse, c’est le général de Radowitz. Il y a ici, pour le dire en passant, une preuve nouvelle de cette largeur d’esprit chrétien qui est un des caractères de Frédéric-Guillaume IV. Le général de Radowitz était ardemment catholique. C’était la piété protestante, nous l’avons vu, qui aux heures enthousiastes de la jeunesse avait été le lien d’une amitié si cordiale entre le prince royal et le modeste attaché de la légation prussienne à Rome. La piété catholique de M. de Radowitz, loin de causer aucun embarras au souverain, fut comme un nouveau foyer où se réchauffait cette âme affectueuse. Sans rien sacrifier de leurs croyances, les deux amis s’unissaient sur les hauteurs divines de l’Évangile. Joseph de Radowitz était né à Blankenbourg, en Westphalie, le 6 février 1797. On ne sait pas exactement si sa famille, originaire de Hongrie, appartenait à la noblesse slave ou à la noblesse magyare ; on sait seulement qu’elle s’expatria vers le milieu du XVIIIe siècle pour chercher fortune dans l’Allemagne du nord. L’éducation et l’adolescence du jeune Radowitz offrent des vicissitudes singulières. Fils d’un père catholique et d’une mère protestante, il fut d’abord élevé dans la communion de Luther ; lorsque l’enfant atteignit sa quatorzième année, le père réclama ses droits et se chargea de diriger l’instruction religieuse de son fils. La Westphalie venait d’être érigée en royaume par Napoléon, et personne n’ignore quels liens rattachaient ce royaume à l’empire français ; c’est ainsi que le jeune Radowitz, destiné par ses parens au service militaire, vint achever à Paris des études spéciales commencées au gymnase d’Altenbourg. A seize ans, il était officier d’artillerie, et dans les luttes de 1813 il combattait sous nos drapeaux ; il y gagna la croix de la Légion d’honneur. Étrange contraste : celui qui devait être, trente-cinq ans plus tard, un des champions les plus dévoués de l’unité allemande, commandait une de nos batteries à Leipzig. Après cette terrible journée, il n’y eut plus de royaume de Westphalie ; M. de Radowitz redevint Allemand. Il fit la campagne de France en 1814, et l’année suivante, ayant pris du service dans la Hesse-Électorale, il fut nommé directeur de l’enseignement des sciences militaires au collège des cadets, à Cassel. Il y passa huit ans, occupé des plus sévères problèmes des mathématiques, et livré à toutes les spéculations de la philosophie chrétienne. Une odieuse intrigue de cour le força de quitter la Hesse en 1823 ; le noble et fier jeune homme avait osé répondre à l’appel de la princesse, femme de l’électeur, qui invoquait, non pas sa protection assurément, mais l’appui de ses conseils dans la lutte qu’elle soutenait contre le despotisme brutal de son mari. Disgracié à Cassel pour un motif si honorable, il trouva une éclatante réparation à Berlin. On eût dit que la cour de Prusse méditait cette conquête, tant elle