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durs. A ce point de vue, le parlement d’Erfurt est une contres-partie instructive du parlement de Francfort. Nul symbole ne pouvait être plus éloquent.

M. de Radowitz, qui depuis un an était le collaborateur secret de Frédéric-Guillaume IV, prend ici le premier rôle sur la scène publique ; le roi l’a nommé commissaire-général de l’union restreinte auprès du parlement d’Erfurt. C’est lui qui exposera la pensée du roi devant les deux chambres, « la chambre des états » (Staatenhaus) et « la chambre du peuple » (Volkshaus). La chambre des états, ce sont les délégués des gouvernemens ; la chambre du peuple, ce sont les députés élus. Or le 26 mars M. de Radowitz prononce devant la chambre du peuple un discours qui est comme l’inauguration et le programme de ses travaux. L’orateur s’attache à expliquer le but de l’union restreinte ; sous des formes un peu embarrassées, mais toujours courtoises, il fait allusion à la jalousie de l’Autriche, jalousie qui serait bien mal inspirée, dit-il, et aussi contraire aux intérêts de ce grand pays qu’aux intérêts de la patrie commune. C’est surtout à l’adresse des quatre royaumes qu’il lance des paroles irritées ; il ne craint pas de dénoncer ces petites cours dont la souveraineté ne date que de la chute de l’empire d’Allemagne et de l’abaissement de la patrie ; il affirme que l’abandon de l’union restreinte par les gouvernemens de Saxe et de Hanovre serait une honteuse violation de la parole jurée. En même temps, voyez comme il a soin de glorifier l’assemblée nationale de Francfort. « Elle a eu, dit-il, l’éclat extraordinaire qui accompagne les entreprises dont le monde est ébranlé ; le rôle de l’assemblée d’Erfurt est plus modeste. » Voyez surtout comme il s’efforce d’écarter les défiances dont la Prusse est l’objet, entretenant d’un côté les espérances qu’elle donne aux peuples, de l’autre rappelant les services qu’elle a rendus aux princes. La Prusse, à l’entendre, n’a-t-elle pas fait preuve du plus rare désintéressement ? n’a-t-elle pas refusé de mettre à profit les embarras des divers états de l’Allemagne ? « Nous n’avons pas voulu, dit-il, aggraver la longue et héroïque lutte engagée par l’Autriche pour son existence politique, ni même la rendre plus difficile par notre insistance ; nous n’avons pas marchandé nos secours aux gouvernemens qui sans la Prusse auraient infailliblement péri, nous n’avons pas tiré parti de leur détresse pour leur arracher des concessions. Certes la Prusse apprécie au plus haut degré l’union de la grande patrie, vœu suprême de tous les cœurs allemands ; mais il y a une chose qu’elle met plus haut encore, c’est l’honneur, c’est le droit. Qu’on appelle cela du romanesque, je l’appelle de la conscience et de la loyauté, et ce sont des choses qui durent. La Prusse a résisté à la tentation la plus difficile à vaincre, l’occasion de faire briller sa propre pensée dans tout son