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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/384

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vérité éternelle : dans cette maxime était le fondement solide de l’éclectisme, et nous la retenons énergiquement. L’idéalisme de Kant doit donc avoir sa vérité ; mais il n’est ni nécessaire ni probable qu’il soit toute la vérité. Les choses, au moins les choses extérieures, ne nous sont connues que par les effets qu’elles produisent sur nous, c’est-à-dire par nos affections, par nos sensations, lesquelles, d’un commun accord, sont éminemment, inévitablement subjectives, car une sensation ne peut être que le mode d’un sujet sentant. Nous savons d’ailleurs que les sensations ne sont que les affections produites sur chaque espèce de sens par une cause commune, le mouvement. Admettons, si l’on veut, que le mouvement n’est encore lui-même qu’un phénomène subjectif et idéal, admettons que l’espace et le temps, malgré leur caractère absolu, ne sont aussi que des formes de la sensibilité ; allons plus loin, et, l’entendement lui-même étant toujours mêlé de sensibilité, imprégné de sensibilité, jusqu’à une profondeur que nul ne peut déterminer, supposons que les lois primordiales de l’entendement soient elles-mêmes profondément modifiées par cette influence ; poussons enfin aussi loin qu’on le voudra l’idéalisme : il restera toujours un résidu que l’on ne peut réduire au moi pensant ; c’est d’abord le réel de la sensation, c’est son existence même, car aucune loi de notre esprit, aucune condition logique de la pensée humaine ne peut faire qu’une sensation surgisse en nous par cela seul que notre entendement en a besoin. C’est en second lieu l’ordre de nos sensations, j’entends les relations nécessaires qui existent entre elles, et dont les relations de temps ne sont peut-être que des expressions symboliques, mais qui doivent avoir une raison intrinsèque et objective, car, je le demande, pourquoi notre sensibilité obéirait-elle à notre entendement ? Pourquoi l’ordre de nos sensations serait-il la reproduction fidèle du plan logique prédéterminé par l’esprit ? Qu’on ne l’oublie pas, nos sensations sont passives, involontaires ; elles ont leur origine dans des causes qui nous échappent, et dont la direction est hors de notre pouvoir. Quelle est donc la puissance mystérieuse qui fait naître les sensations au fur et à mesure que notre esprit l’exige, d’après ses propres lois ? Pour donner à cette difficulté fondamentale une forme précise, les lois rationnelles de notre esprit exigent que telle étoile soit dans le ciel, à telle place, à tel moment du temps : eh bien ! par quel mystère la sensibilité, faculté fatale et aveugle, en dehors de notre puissance, fait-elle surgir en nous la sensation d’une étoile précisément au moment fixé a priori par l’entendement ? Nos sensations en effet pourraient très bien ne former qu’un chaos, et le besoin que notre esprit a de l’ordre et de l’unité ne suffirait pas pour assujettir à cet ordre une matière indisciplinée, si elle-même, dans les