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Thémistocle avait déposé 70 talens à la banque du Corinthien Philostéphanos ; cette somme, énorme pour l’époque, avait tout à la fois fait la fortune du banquier, qui pouvait remployer comme fonds de roulement, et servi de ressource au vainqueur de Salamine quand il lui avait fallu prendre le chemin de l’exil. Ce fut d’ailleurs surtout à Athènes, quand cette ville fut devenue le centre d’un vaste empire maritime, que se développèrent et s’organisèrent les affaires de banque. Presque toutes les données que nous possédons sur la manière dont elles étaient conduites se rapportent aux banquiers athéniens du Ve ou plutôt du IVe siècle. Ces contemporains d’Isocrate et de Démosthène, qui disposaient de capitaux considérables et dont le crédit s’étendait à toutes les places de la mer Egée[1], n’en étaient pas moins les successeurs, en ligne directe, des humbles changeurs qui, deux ou trois siècles auparavant, avaient les premiers dressé dans le bazar des villes ioniennes leur modeste comptoir. C’est ainsi qu’aujourd’hui encore ces princes de la finance qui traitent avec les royaumes et les empires portent dans toutes les langues modernes un nom qui leur vient de la planche, banco ou tavolino, derrière laquelle au moyen âge étaient assis en pleine rue les banquiers génois, pisans et florentins[2].

Ces comptoirs des premiers trapézites, gardons-nous de nous les représenter couverts de piles d’or et d’argent, comme celles qui s’élèvent à la portée de la main sur le bureau d’un de nos caissiers. Les monnaies anciennes étaient de forme trop irrégulière et présentaient un trop fort relief pour qu’il fût commode de les disposer par rouleaux. Ces tables devaient plutôt être divisées en un certain nombre de compartimens dont chacun contenait une des sortes les plus courantes ; quelques sébiles, quelques sacs de cuir ou de toile, complétaient le mobilier. A l’époque qui nous occupe, la table ou se comptent les monnaies ne joue plus dans les opérations de ces banquiers contre ou pour lesquels plaident Isocrate et Démosthène qu’un rôle tout à fait secondaire. On distingue alors, dans la langue courante, les simples changeurs, trafiquons d’assez bas étage que devait posséder en nombre tout port tant soit peu fréquenté, les prêteurs, capitalistes qui font valoir leurs fonds en les prêtant soit à l’agriculture, soit surtout au commerce maritime, enfin les trapézites, qui réunissent entre leurs mains et pratiquent sur une grande

  1. Apollodore, étant triérarque, trouve à emprunter de l’argent partout où il veut, à Lampsaque, à Thasos, à Ténédos, « parce que, dit-il, j’étais fils de Pasion, que celui-ci était en relation avec beaucoup d’étrangers, et que son crédit était établi dans toute la Grèce » (Démosthène, Contre Polyclès, 56).
  2. Sur ces ancêtres de nos financiers modernes, voyez, dans la Revue du 1er février 1873, les Anciens banquiers florentins.