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par de bruyantes protestations : « s’il ne voulait point voir expirer sous le fouet un fidèle serviteur, ce n’était pas qu’il eût la moindre envie de faire tort à personne. C’est aux arbitres de se prononcer ; s’ils décident contre lui, il paiera tout aussitôt. » Ceux-ci n’avaient pas mission de trancher cette question, et Pasion le savait. On se sépara donc sans que ce rendez-vous eût amené d’autre résultat que de constater le parti-pris de Pasion, bien résolu à tenir closes les lèvres de Kittos.

Cependant Pasion n’avait pu se dissimuler l’impression produite sur les assistans. L’affaire pouvait mal tourner ; peut-être serait-il plus sage de transiger. Jour fut donc pris avec le fils de Sopæos ; on se rencontra dans un temple, à l’Acropole. Là loin de toute oreille et de tout regard indiscret, Pasion fut tout autre. D’un pan de son manteau, il se cachait le visage comme un homme honteux de sa conduite, qui n’ose affronter les yeux d’un ami envers lequel il a eu des torts graves. Il pleurait, il répétait qu’il avait fallu, pour le décider à nier un dépôt, de graves embarras d’argent : « bientôt il serait en mesure de faire la restitution demandée ; il suppliait son client de lui pardonner et de tenir la chose secrète. Tout le succès de sa maison reposait sur la confiance qu’elle inspirait ; que cette confiance vînt à être ébranlée par une révélation malheureuse, et c’en était fait de son crédit. » L’étranger crut à un repentir sincère ; il promit à Pasion de ne point chercher à le perdre, et le laissa libre de choisir l’heure et le mode de paiement qui sauvegarderait le mieux tout à la fois les intérêts du créancier et ceux de la banque. Trois jours après, nouveau rendez-vous, encore sans témoins. Le banquier et son créancier s’engagèrent leur foi aux conditions suivantes. Pasion reconnaissait la dette, mais le public ne serait pas mis dans la confidence. Pasion s’embarquerait pour le Bosphore en compagnie de son client, et ce serait là qu’il lui rendrait l’argent. De cette manière, on n’en saurait rien à Athènes, et Pasion pourrait expliquer comme il l’entendrait son voyage et le dénoûment de l’affaire. Au cas où, malgré ses promesses, il ne paierait pas, Satyros serait pris comme arbitre ; si le roi constatait que Pasion avait manqué à ses engagemens, celui-ci aurait à verser, outre le principal de la dette, une moitié en sus de la somme réclamée. Les clauses du contrat furent mises par écrit, et, pour qu’aucune des deux parties n’eût la tentation de faire disparaître cet acte important, il fut décidé qu’on le confierait à un tiers. On appela donc à l’Acropole un capitaine de navire qui faisait de fréquens voyages entre Athènes et le royaume du Bosphore ; on déposa entre ses mains, sans doute après lui avoir fait prêter serment, le contrat scellé et cacheté. Dès qu’il serait prévenu que Sopæos n’avait plus rien à réclamer de Pasion et que l’affaire était terminée, il