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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/500

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ma morale : « l’amour fait tout excuser, mais il faut être bien sûr qu’il y a de l’amour. » Soyez persuadée que ce précepte-là est plus rigoureux que ceux de vos méthodistes amis. Conclusion : je serai charmé de vous voir. Peut-être ferez-vous l’acquisition d’un véritable ami, et moi peut-être trouverai-je en vous ce que je cherche depuis longtemps : une femme dont je ne sois pas amoureux et en qui je puisse avoir de la confiance. Nous gagnerons probablement tous deux à notre connaissance plus approfondie. Faites pourtant ce que votre haute prudence vous conseillera.

Mon moine est prêt. A la première occasion, je vous enverrai donc ce moine et sa monture. L’infante, n’étant pas achevée, et étant trop mal commencée pour être jamais terminée, restera où elle est et me servira de garde-main pour un dessin que je vous ferai quand j’aurai le temps. Je meurs d’envie de voir la surprise que vous me destinez, mais je me creuse la tête inutilement pour le deviner. Quand je vous écris, je néglige trop les transitions, artifice de style bien nécessaire. Je crains que vous ne trouviez cette lettre terriblement décousue. C’est qu’à mesure que j’écris une phrase il m’en vient une autre à l’esprit, laquelle donne naissance à une troisième avant que la seconde soit terminée. Je souffre beaucoup ce soir. Si vous avez de l’influence là-haut, tâchez de m’obtenir un peu de santé ou tout au moins de résignation, car je suis le plus mauvais malade du monde, et je fais la mine à mes meilleurs amis. Quand je suis étendu sur mon canapé, je pense avec plaisir à vous, à notre mystérieuse connaissance, et il me semble que je serais bien heureux de causer avec vous autant à bâtons rompus que je vous écris, — et encore songez qu’il y a cet avantage, que les paroles volent et que les écrits restent.

Au surplus ce n’est pas l’idée d’être un jour imprimé tout vif ou posthume qui me tourmente. Adieu; plaignez-moi. Je voudrais avoir le courage de vous dire mille choses qui me rendent cette vie triste; mais comment vous les dire de si loin? Quand donc viendrez-vous? Adieu encore une fois. Vous voyez que, si le cœur vous en dit, vous avez tout le temps de m’écrire.


P.-S. — 26 septembre. — Je suis encore plus triste qu’hier. Je souffre horriblement; mais, si vous n’avez jamais éprouvé par vous- même ce que c’est qu’une gastrite, vous ne comprendrez pas ce que c’est qu’une douleur vague qui est très vive pourtant. Elle a cela de particulier, qu’elle agit sur tout le système nerveux. Je voudrais bien être à la campagne avec vous; vous me guéririez, j’en suis sûr. Adieu. Si je meurs cette année, vous aurez le regret de ne m’avoir guère connu.