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mortalité de l’âme, pas trop au catéchisme, et voyait en général les choses en beau. Je sentais qu’elle avait une certaine peur de moi. A Saint-Etienne, le briska à deux places fut échangé pour une voiture à quatre places. Nous eûmes les quatre places à nous deux, et par conséquent vingt-quatre heures de tête-à-tête à ajouter aux trente premières; mais, bien que nous causassions (quel joli mot!) beaucoup, il me fut impossible de me faire une idée de ma voisine, si ce n’est qu’elle devait être mariée et une personne de bonne compagnie. Pour finir, à Moulins nous prîmes deux compagnons assez maussades, et nous arrivâmes à Paris, où ma femme mystérieuse se précipita dans les bras d’un homme très laid qui devait être son père. Je lui ôtai ma casquette, et j’allais monter dans un fiacre quand mon inconnue, d’une voix émue, me dit, ayant laissé le père à quelques pas : « Monsieur, je suis pénétrée des égards que vous avez eus pour moi. Je ne puis vous en exprimer assez toute ma reconnaissance. Jamais je n’oublierai le bonheur que j’ai eu de voyager avec un homme aussi illustre. » Je cite le texte; mais ce mot illustre m’expliqua les conseillers municipaux et la peur de la dame. Il était évident qu’on avait vu mon nom sur le livre de la poste, et que la dame, qui avait lu mes œuvres, s’attendait à être avalée toute crue, et que cette opinion fort erronée doit être partagée par plus d’une autre de mes lectrices. Comment avez-vous eu l’idée de me connaître? Cela m’a mis de mauvaise humeur pendant deux jours, puis j’en ai pris mon parti. Ce qu’il y a de singulier dans ma vie, c’est qu’étant devenu un très grand vaurien j’ai vécu deux ans sur mon ancienne bonne réputation, et qu’après être redevenu très moral je passe encore pour vaurien.

En vérité, je ne crois pas l’avoir été plus de trois ans, et je l’étais, non de cœur, mais uniquement par tristesse et un peu peut-être par curiosité. Cela me nuira beaucoup, je crois, pour l’Académie, et puis aussi on me reproche de ne pas être dévot et de ne pas aller au sermon. Je me ferais bien hypocrite, mais je ne sais pas m’ennuyer et je n’aurais jamais la patience. Si vous vous étonnez que toutes les déesses soient blondes, vous vous étonnerez bien davantage à Naples en voyant des statues dont les cheveux sont peints en rouge. Il paraît que les belles dames autrefois se poudraient avec de la poudre rouge, voire même avec de la poudre d’or. En revanche, vous verrez aux peintures des Studij quantité de déesses avec des cheveux noirs. Pour moi, il me semble difficile de décider entre les deux couleurs. Seulement je ne vous conseille pas de vous poudrer. Il y a en grec un terrible mot qui veut dire des cheveux noirs : μελαγχαίτης (mélankhétis); ce χα est une aspiration diabolique.

Je serai à Paris tout l’automne, je pense. Je vais travailler beau-