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Paris, 9 juillet 1848.

Nous passons ici des jours bien longs et passablement chauds, mais aussi tranquilles qu’on peut le souhaiter ou plutôt l’espérer sous la république. Tout annonce que nous aurons une trêve assez longue. Le désarmement s’opère avec assez de vigueur et produit de bons résultats. On remarque un curieux symptôme : c’est que, dans les faubourgs insurgés, on trouve quantité de dénonciateurs pour indiquer les cachettes et même les coryphées des barricades. Vous savez que c’est bon signe quand les loups se battent entre eux


Paris, lundi 19 juillet 1848.

Nous avons passé fort paisiblement le 14 juillet, malgré les prédictions sinistres qu’on nous faisait. La vérité, si on peut la découvrir sous le gouvernement où nous avons le bonheur de vivre, la vérité, c’est que nos chances de tranquillité sont singulièrement augmentées. Il avait fallu plusieurs années d’organisation et quatre mois d’armemens pour préparer les affaires des 23-26 juin. Une seconde représentation de cette sanglante tragédie me paraît impossible, du moins tant que les conditions actuelles ne seront pas très matériellement changées. Pourtant quelque petit complot, quelques assassinats, quelques émeutes même sont encore probables. Nous avons pour un demi-siècle peut-être à nous perfectionner, les uns dans la confection des barricades, les autres dans leur destruction. On emplit Paris en ce moment d’obusiers et de mortiers à grenades, très transportables et très efficaces. C’est un argument nouveau et qu’on dit excellent. Mais laissons la πολεμιϰὰ. Vous ne pouvez vous faire une idée du plaisir que vous me ferez en acceptant mon invitation à déjeuner avec lady ***.


Paris, samedi 5 août 1848.

On reparle de coups de fusil, mais je n’y crois nullement. Pourtant ce soir mon ami M. Mignet se promenait avec Mlle Dosne dans le petit jardin qui est devant la maison de M. Thiers; une balle est venue de haut en bas sans faire le moindre bruit, qui a frappé contre la maison, près de la fenêtre de Mme Thiers, et, comme toute balle porte son billet, celle-là en avait un pour une partie charnue sur laquelle était assise une petite fille de douze ans en dehors de la grille du jardin. On la lui a extirpée très proprement, et elle n’aura aucun autre mal qu’une légère cicatrice; mais à qui en voulait-on? à Mignet ? cela est impossible; à Mlle Dosne ? encore moins. Mme Thiers