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M"-^ GUIGNON

DERNIERE PARTIE (1)

IX.

Notre âme a tellement soif de bonheur que, si les joies véritables viennent à lui manquer, elle s’ingénie à en forger d’artificielles, comme l’oiseau dont une giboulée a effondré le nid et qui en re- bâtit un autre à la hâte avec des matériaux de hasard. A dix-huit ans, on ne se lasse pas d’espérer; après la chute des premières illu- sions, il en germe de nouvelles. La vigne de la jeunesse est si vi- goureuse! Une brusque gelée a beau griller les l30urgeons, sa sève se sent la force de fournir une seconde pousse, et elle compte que le soleil mûrira encore ces grappes tardives. — Les plus chers de mes rêves avaient été anéantis; je savais maintenant à quoi m’en tenir sur l’amour que j’avais cru éprouver. Les révélations de M. Desprairies avaient porté de rudes coups à ma confiance; ma statue idéale avait été brisée en maints endroits, mais j’en ramas- sais les débris. — Si je me suis trompée, pensai-je, mon mari du moins n’a pas eu dessein de me tromper. Sa façon d’aimer ne ré- pond pas à mon rêve, mais après tout il m’aime; sinon pourquoi aurait-il choisi une pauvre fille comme moi? Je lui suis redevable d’un intérieur, d’une protection, d’un but dans la vie. Tout n’est pas perdu, puisqu’il me reste à jouer la plus noble part du rôle que j’avais ambitionné. Adieu, mes chimères déjeune fille; j’avais rêvé de me dévouer, dévouons -nous! Aidons Natalis à dévcloi^per, à mûrir le talent dont il est doué.

(1) Voyez la Revue Uu 1« et du Ij novembre.