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pas un mot de la conspiration de 1522, qui aurait dû mériter quelque indulgence aux Rucellai, à leur résidence si redoutée. Que ce discours soit peut-être un essai de Guichardin, qui se prépare et s’arme de toutes pièces pour sa défense, qu’importe ? Voilà tout au moins l’opinion courante sur les jardins Rucellai : un rendez-vous de beaux-esprits et de patriciens ennemis du gouvernement populaire, frondant tout au plus les Médicis quand ils sont au pouvoir, capables de fournir quelques recrues aux complots contre la dynastie par motifs d’ambition ou de vengeance.

Quelle fut l’attitude de Machiavel dans cette célèbre société ? celle d’un ami ou d’un ennemi des Médicis ? Plutôt la première que la seconde. Il y trouve d’abord les Rucellai, dont l’un, Giovanni, l’auteur du poème des Abeilles, est un confident de Léon X, dont l’autre, Cosimo, fait les honneurs de sa maison au capitaine Fabrizio Colonna, ami de Lorenzo de Médicis, et cette visite sert, comme nous l’avons vu, de cadre à l’Art de la guerre. Il y rencontre Philippe Strozzi, partisan déclaré de la dynastie jusqu’à la mort de Clément VII : c’est par lui qu’il communique au pape ses lettres et projets politiques. Il compte là parmi ses disciples et amis Serristori et Girolami, serviteurs fidèles de cette maison. Il est vrai que dans ce nombre sont encore Bartolommeo Cavalcanti, qui fut plus tard un des soutiens de la république, et Zanobi Buondelmonte, auquel il dédia les Discours en même temps qu’à Cosimo Rucellai, et qui trempa dans la conjuration de 1522 ; mais Cavalcanti ne se déclara qu’en 1527, lorsque Florence fut livrée à elle-même ; quant à Buondelmonte, c’était un familier du cardinal Jules, et il ne complota sa mort qu’à la suite d’un soufflet qu’il avait reçu dans le palais du prince-prélat, et dont celui-ci n’avait pas tiré, à son gré, une vengeance suffisante.

Ainsi, quand nous n’aurions pas le caractère, la correspondance et les évolutions successives de la pensée de Machiavel pour nous éclairer, ses relations dans cette société, ses amitiés diverses dans cette académie où se mêlaient toutes les opinions, surtout celles des familles riches de Florence, suffiraient pour nous ouvrir un jour sur le parti politique auquel il appartenait. De 1513 à 1515, il est ce que devaient être presque tous les hommes marquans de cette classe privilégiée, revenu de toute espérance républicaine, partisan de la grandeur des Médicis, qui promettent à l’Italie de la délivrer du joug des barbares, ami du pape, qui est un Florentin et qui travaille en vue du même but : c’est l’époque du Prince. On s’explique à merveille l’auteur quand on voit ses lecteurs, une jeunesse dorée qui aime à suivre celui qui s’empare d’elle à force de hardiesse : il y a du bel esprit dans cet ouvrage ; rappelez-vous la comparaison du Centaure, image de l’homme, moitié humain, moitié bestial ;