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dernier, et construira avec leurs os blanchis au soleil les mosquées des musulmans régénérés. » Cette tradition est sacrée et d’une autorité souveraine chez les Arabes : ils croient tous qu’un jour doit surgir à l’improviste ce terrible régénérateur de leur race qui purgera l’Algérie de la présence des chrétiens. En attendant la venue du Moul-el-Saa, le musulman se soumet et accepte, comme expiation de ses fautes, la domination sacrilège des infidèles; mais cette domination lui est odieuse. Aussi est-ce en vain que nous cherchons à nous attacher le peuple vaincu, à lui ouvrir les voies du progrès, à l’élever peu à peu à un plus grand bien-être moral et matériel, à lui faire une large part dans ce vaste travail de colonisation où la place de l’indigène est toute marquée à côté du colon européen. Les Arabes ne peuvent comprendre les bonnes intentions, les sentimens de justice et d’humanité qui nous guident. Indifférens à nos avances, dédaigneux de notre générosité, ils nous restent toujours hostiles et considèrent notre bienveillance comme une faiblesse inhérente à notre race. On connaît la phrase fameuse citée par le général Daumas : « prends un Français et un Arabe, mets-les dans une marmite et fais-les bouillir ensemble à gros bouillon pendant vingt-quatre heures; au bout de vingt-quatre heures, tu reconnaîtras encore le bouillon du chrétien et du musulman ; ils ne seront pas plus mêlés que leurs idées ne peuvent se confondre. » Ce mot est vrai aujourd’hui comme aux premiers temps de la conquête.

Connaissant ces dispositions hostiles, réduits surtout à leurs seules forces, les colons, 200,000 à peine, avaient au lendemain de nos désastres sur le Rhin une chose toute simple à faire. Ils devaient se réunir, s’organiser, s’entendre, et par une attitude prudente et énergique à la fois imposer aux indigènes; le patriotisme, d’accord en cela avec leur propre intérêt, leur en faisait un devoir. Tout autre fut leur conduite malheureusement. Qu’est-il besoin de rappeler les scènes déplorables dont la ville d’Alger fut alors le théâtre? Le vieux général Walsin-Esterhazy saisi et embarqué de force, — des officiers bafoués, frappés par une foule en délire, — les hommes les plus considérables de la colonie victimes de vexations arbitraires et arrêtés dans leur domicile. — En même temps les orateurs de clubs, dans leur ambition aveugle, pour éloigner de la colonie les dernières troupes qui s’y trouvaient encore et qui auraient pu gêner leurs menées, allaient partout répétant que l’Algérie suffirait à se garder elle-même, que les Arabes n’étaient guère à craindre, qu’il n’y avait plus besoin de soldats. D’autres prêchaient déjà l’autonomie de l’Algérie, qu’il était temps de séparer de la mère-patrie. Enfin les éditeurs de certains journaux anti-français avaient soin de souligner les revers de la France, comme pour les faire parvenir plus sûrement aux oreilles des Arabes. Le décret imprudent de la délégation de