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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/680

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les piétons avec deux rangées d’arbres, une autre allée semblable pour les cavaliers, et au milieu une large chaussée à voitures, avec une double voie de rails à ornières pour les tramways. Évidemment on ne s’est pas montré regardant sur l’espace. Quant aux constructions, impossible de pousser plus loin le raffinement du décor, et, on peut le dire sans dénigrement, l’exagération des enjolivures : architectes et propriétaires ont sans doute renchéri à l’envi. C’était entre voisins à qui aurait une façade d’un plus grand effet, plus de colonnes, plus de bossages, plus de balcons : l’un se passait la fantaisie d’une tourelle, l’autre celle d’un mirador surchargé d’ornemens; ce qui a manqué à tous, décorateurs et décorés, c’est un peu plus de sobriété dans le goût. Au fond, tout ce badigeonnage ne coûte guère et dure encore moins. On en est quitte pour quelques carcasses en briques, revêtues d’une couche de ciment et jouant la sculpture; mais aussi le moindre heurt, la seule action de la gelée, de la pluie et du soleil, suffisent à en détacher des morceaux, ce qui oblige le mouleur à recommencer souvent sa besogne.

Par ces détails, il est aisé de se faire une idée de ce qu’est le peuple de Vienne étudié sur les lieux. Il y a de l’artiste chez lui, il ne se garde pas du clinquant, aime à paraître, et, quand le cas se présente, il cède à des dissipations. S’il n’a rien de cette gourme qui rend insupportable l’Allemand du nord, il n’en a pas non plus la solidité. Même dans l’exemple que je viens de citer, on peut le prendre en défaut pour des incuries plus grandes. Ces constructions, où l’on a tant sacrifié à l’effet, pèchent par la base : bâties à la hâte, on y a négligé les conditions les plus élémentaires de stabilité et de salubrité; les logemens n’ont point de fosses, les rues n’ont point d’égouts. Et le pire est que les lieux ne se prêtent guère à des travaux réguliers. Les Rings en effet ont été tracés le long de la Wien, la Vienne, qui a donné son nom à la capitale, et qui n’est dans tout son cours autre chose qu’un marécage pestilentiel, depuis la résidence impériale de Schœnbrunn jusqu’au canal du Danube, où elle se perd après avoir infecté Stadt-Park et le Jardin des Enfans. Quand arrive l’hiver, les rues et les boulevards situés dans ces quartiers sont, à la fonte des. neiges ou après chaque orage, des mares impraticables, et dans la belle saison des lits de poussière, de sorte qu’il n’y a guère pour les ménages domiciliés qu’une alternative d’inconvéniens. Peut-être aurait-on pu retrancher quelques sommes du luxe extérieur des habitations pour les appliquer à un meilleur état du sol et à une voirie moins incommode, mais il y a à cela un empêchement que l’édilité viennoise oppose à toute amélioration en projet.

C’est qu’au fond le Vienne actuel lui importe moins qu’un autre