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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/736

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tait pas moins tes républicains sensés et prévoyans : ils avaient toujours désiré que les conservateurs comme les radicaux prissent part aux élections de la constituante ; ils souhaitaient même que l’opposition y fût assez fortement représentée pour pouvoir leur prêter main-forte contre les exigences et les utopies des intransigeans. C’est dire qu’ils chargeaient secrètement leurs ennemis de les défendre contre leurs amis. Il fallait renoncer à cet espoir. Les radicaux et les conservateurs étaient hors de combat ; leurs chefs s’étaient exilés, la plupart avaient rejoint à Biarritz le maréchal Serrano et M. Martos. Un manifeste annonça bientôt à l’Espagne que, le gouvernement s’abandonnant aux factieux et se montrant désormais incapable de garantir la liberté électorale, l’opposition avait résolu de s’abstenir. C’était une bulle d’excommunication majeure fulminée contre les futures cortès, dont toutes les décisions étaient d’avance frappées de nullité. Le gouvernement ne pouvait plus compter que sur lui-même et sur l’empire de la force, et il sentait combien il lui était difficile d’être fort. C’est le 23 avril que se sont amassés sur l’Espagne les sombres nuages qui couvrent le ciel de la république et qui aujourd’hui encore pèsent sur son avenir.


II.

Les cortès constituantes se réunirent le 1er juin. Elles avaient un vice d’origine commun dans l’histoire des parlemens espagnols : elles n’avaient été nommées que par une fraction du corps électoral. À peine y voyait-on figurer une demi-douzaine de conservateurs qui, malgré la consigne, s’étaient obstinés à briguer les suffrages de leurs électeurs. Parmi eux était M. Rios Rosas, cet homme éminent que l’Espagne vient de perdre et auquel la république a rendu un suprême hommage, qui l’a elle-même honorée. Patriote et libéral dans l’âme, ne chargeant personne de lui enseigner ses devoirs, les deux discours qu’il prononça dans une assemblée hostile furent écoutés avec un religieux recueillement, comme si on eût deviné que c’était le chant du cygne. Son début fut fier ; il s’applaudit de son isolement, qui lui assurait une entière liberté de parole et de vote. « Est-ce à dire, poursuivit-il, que je ne représente rien ici ? Le cas serait étrange après quarante années d’existence parlementaire ; mes amis et moi, nous représentons dans cette chambre les principes, les tendances, les intérêts, les grandeurs et les disgrâces des partis conservateurs. Aussi, quelle que soit notre modestie et quel que soit notre nombre, nous vous dirons fièrement ce que disait le comte d’Oñate à l’empereur Charles-Quint :