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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/80

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eut été pourvu de cette charge. Homme adroit, ferme et entreprenant, il apportait dans l’exercice de ses fonctions une souplesse et une énergie qui lui assurèrent une grande autorité. Il était vu favorablement par le parlement à cause de ses alliances avec des familles parlementaires. « Il sut, écrit son fils le marquis d’Argenson, se ménager les gens de qualité, sans les offenser ni les craindre ; il se servait pour cet effet de l’avantage de sa naissance et se faisait un mérite de sa modestie, tandis que la morgue présidentielle offusquait ceux qui portaient un nom illustre et distingué dans notre histoire. » Voyer d’Argenson se mit directement en rapport avec Louis XIV, et passa, pour prendre une expression vulgaire, par-dessus la tête du chancelier. Celui-ci s’en offensa, mais le roi approuva le procédé et ne tint pas compte du mécontentement de son ministre ; il maintint ce privilège à son lieutenant-général de police, et depuis ceux qui en exerçaient la fonction ne relevèrent plus du chancelier. D’Argenson s’affranchit moins facilement du joug du parlement. Saint-Simon nous apprend que la lutte fut vive, et que le lieutenant-général de police fut plusieurs fois appelé au sein de la cour souveraine pour y être admonesté. Fort de l’appui du monarque, d’Argenson triompha de ses adversaires, et c’est seulement dans des cas exceptionnels, lors de troubles graves au sein, de la capitale, que le parlement intervint dans les affaires de police en vertu de son ancienne prérogative. La lieutenance générale de police devint donc un ministère au petit pied, et sa juridiction au Châtelet ne fut plus pour elle qu’un accessoire.

Les heureux, résultats de cette création firent instituer de semblables lieutenances dans quelques grandes villes du royaume. On avait d’ailleurs senti depuis longtemps l’inconvénient d’abandonner à une autorité municipale, n’ayant ni force ni considération suffisante, un service aussi délicat que celui de la police. Les intérêts généraux de la nation se trouvaient parfois en opposition avec ceux de telle ou telle cité, et les administrations locales pouvaient contrarier des mesures que le gouvernement jugeait utile d’appliquer à tous. Tel avait été à certains égards le motif qui fit intervenir les paiemens dans la police municipale, et dès le XIVe siècle on envoyait des commissaires royaux dans quelques villes pour assurer certaines branches de ce service, par exemple les approvisionnemens. Sous Louis XI, on avait imposé des tarifs pour diverses marchandises, et ce furent non pas les corps de ville, mais des juges locaux qu’on chargea de les faire observer Par l’établissement des lieutenans de police, on rattacha la police des principales villes du royaume à l’autorité centrale. Les municipalités ne se virent pas sans mécontentement dépouillées d’attributions dont elles tiraient une grande partie de leurs droits et de leur crédit. A Paris, les conflits se