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lutte de ces mesquines factions. « Votre majesté sera sans doute surprise, dit Mercy à Marie-Thérèse, que ce comte de Guines, pour lequel la reine n’a ni ne peut avoir aucune affection personnelle, soit cependant la cause de si grands mouvemens; mais le mot de cette énigme consiste dans les entours de la reine, qui se réunissent tous en faveur de ce comte. Sa majesté est obsédée ; elle veut se débarrasser. On parvient à piquer son amour-propre, à l’irriter, à noircir ceux qui, pour le bien de la chose, peuvent résister à ses volontés. »

Voilà, nous ne dirons pas des excuses, mais des commentaires équitables, et dont il faut tenir compte. Ce n’est pas de Vienne, cette fois non plus, que sont venus à la reine les mauvais conseils. Mercy se range lui-même, avec l’abbé de Vermond, au nombre des conseillers qui auraient voulu la détourner de cette ligne de conduite; il affirme que, pendant ces dernières intrigues, ils se virent tous deux écartés, et nous ne trouvons pas de motifs sérieux pour ne pas le croire. Si l’on veut juger de la différence entre les avis de l’ambassadeur d’Autriche et ceux que donnaient à la reine ses faux amis, on n’a qu’à lire les sérieux éloges de Turgot et de Malesherbes que Mercy consignait dans ses rapports, et à les comparer avec les malédictions ou les injures dont la correspondance de Mme Du Deffand est l’écho. Un autre indice non équivoque des sentimens de la cour de Vienne à cet égard, c’est que Marie-Antoinette, s’adressant à sa mère, croit devoir dissimuler son rôle, et lui écrit le 15 mai avec un air de feinte innocence : «M. de Malesherbes a quitté le ministère avant-hier; il a été remplacé tout de suite par M. Amelot. M. Turgot a été renvoyé le même jour, et M. de Clugny le remplacera. J’avoue à ma chère maman que je ne suis pas fâchée de ces départs, mais je ne m’en suis pas mêlée. » On peut juger par tout ce qui précède en quelle mesure cette assurance est d’accord avec la vérité.

En résumé, à lire les rapports secrets de Mercy et les lettres que lui adresse Marie-Thérèse, il paraît évident que Marie-Antoinette n’intervenait dans les affaires que lorsque sa passion s’y trouvait intéressée, quand par exemple sa mère ou son frère, lui affirmant que son concours seul pouvait empêcher la ruine de l’alliance, la conjurait d’agir, — c’est ce qui eut lieu lors de l’affaire de la succession de Bavière, — ou bien lorsque, tout entière à ses propres caprices, elle allait dans le sens de ses affections et dans celui de ses animosités, au risque de contrarier, bien loin de les suivre, les suggestions de la cour de Vienne, — c’est ce qui arrivait quand elle souhaitait le retour de Choiseul, que Marie-Thérèse eût redouté, ou quand elle faisait renvoyer Turgot et Malesherbes, dont Marie-Thérèse appréciait le caractère et les talens. A cela se réduit la question concer-