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nous-mêmes! Certes on aurait mauvaise grâce à médire des psychologues qui ont cherché à comprendre l’homme par la seule observation des phénomènes de conscience, ou des physiologistes qui ont prétendu l’expliquer au moyen de la seule considération des phénomènes organiques. Les uns et les autres ont laborieusement préparé le terrain où les investigations peuvent être désormais fructueuses; mais, justement parce que ce terrain est préparé, il est à souhaiter que les discussions et les antagonismes d’hier fassent place à une entente plus profitable à la vraie connaissance de la nature humaine, et que les efforts, au lieu de diverger et de se perdre, soient régulièrement ordonnés dans un même dessein.

Ces réflexions ne s’adressent ni à ceux qui s’imaginent que la psychologie est faite, ni à ceux qui déclarent qu’elle ne le sera jamais; nous les soumettons aux esprits qui, suivant attentivement le double mouvement de la physiologie et de la psychologie, constatent que du moins les progrès de ces deux sciences sont corrélatifs et inséparables. Des philosophes que leur situation et leurs travaux antérieurs ne semblaient guère inviter à l’étude de l’homme physique s’y attachent maintenant avec un zèle éclairé. Des expérimentateurs que leur réputation et leurs habitudes paraissaient peu solliciter à l’étude de l’homme moral s’y consacrent avec un soin consciencieux. Qu’en résulte-t-il? Une science plus profonde et plus précise des rapports du physique et du moral, pleine de révélations et de surprises.


I.

Les anciens avaient une doctrine des passions qui au fond ne diffère pas beaucoup de celle que la physiologie et la pathologie expérimentales ont accréditée dans ces derniers temps. Ils se trompaient sur le rôle des humeurs et les mécanismes physiologiques dans la production des phénomènes passionnels, mais ils avaient observé nettement et défini avec une précision assez remarquable l’influence que ceux-ci exercent sur les viscères de la région abdominale. Les vers de leurs poètes et les écrits de leurs médecins sont pleins de locutions qui attestent combien antique est la connaissance de ce rapport entre les sentimens de l’âme et les mouvemens du cœur, du poumon, de l’estomac, du foie[1]. Les anciens avaient même été jusqu’à localiser les passions dans les viscères, et ils avaient résumé leur doctrine à ce sujet dans cet aphorisme : splene rident, felle

  1. Idque situm media regione in pectoris hæret :
    Hic exsultat enim pavor, ac metus, hæc loca circum
    Lætitiæ mulcent (LUCRECE.)